Supplément à la Gazette de France, du vendredi 17 septembre 1779
Supplément à la Gazette de France, du vendredi 17 septembre 1779
D’Amathonte, le 17 septembre 1779.
La division s’est mise dans les flottes combinées des reines Vénus et Melpomène, et les deux partis sont prêts d’en venir à une guerre civile. La jalousie est le principe du désordre.
L’amiral Vestris n’a pu soutenir l’éclat de la gloire de l’amiral de Sainval l’aînée et a résolu la perte de cette rivale, dont les grandes qualités attiraient l’admiration publique.
ESCADRE BLANCHE, portant le pavillon de la reine Vénus.
Vestris, amiral1 .
Le Duras
Vaisseau qui a plus d’apparence que de solidité.
Le maréchal duc de Duras, gentilhomme de la chambre de service, supérieur des comédiens, et amant de la dame Vestris, bavard sans parole et sans fermeté.
Brizard.
L’Intérêt.
Vieux bâtiment.
Ce comédien, le chef du parti de Mlle Vestris est âgé et très ladre.
Préville.
Le Courtisan.
Bâtiment ruiné.
Ce comédien cherche à se mettre bien avec le supérieur, et d’ailleurs est usé de débauches.
Desessarts.
Le Balourd
Mauvais voilier.
C’est un acteur très épais et très bête.
La Rive.
Le Belâtre.
Bâtiment mou.
Bel acteur, ayant des dents bien blanches, qu’il montre, mais froid.
Ponteuil.
L’Inutile.
Bâtiment radoubé.
Comédien médiocre, qui a reparu depuis peu au théâtre.
Vanhovre.
Le Tartuffe.
Louvoie supérieurement.
Avait paru du parti de Mlle Sainval, et en a changé, voyant l’autre parti l’emporter.
Courville.
Le Ridicule.
Porte bien la voile.
Il est hué dès qu’il paraît et va toujours son train.
Bouret.
L’Honnête.
Bâtiment plat.
Comédien qui a des mœurs, mais est un piètre homme.
Du Gazon.
L’Intrigant.
Bâtiment sujet à ployer.
Comédien qui cherche à faire sa cour aux dépens de tous ses camarades.
Madame Préville.
La Vengeance.
Bâtiment lent à la marche, mais sûr.
Bonne actrice, froide, facile à irriter et implacable.
Madame Bellecour.
Le Profond.
Sujet aux voies d’eau.
Vieille actrice dévergondée
FRÉGATES
Mlle Luzy.
La Coquette.
Mal radoublée
Cette actrice a une maladie de femme incurable.
Mme Dugazon.
L’Effrayante.
File 15 nœuds par heure.
Allégorie relative à son intérieur et à sa lubricité.
Mme Suin.
La Fatigante.
File 18 nœuds.
Même caractère, même tempérament.
ESCADRES ROUGES portant le pavillon de la reine Melpomène
Sainval l’aînée, Amiral.
Le Talent.
A une superbe batterie.
La meilleure actrice actuelle, vigoureuse et dans le genre de Mlle Dumesnil.
Molé.
Le Ferme.
Peut servir encore longtemps.
C’est l’acteur qui a déployé le plus de vigueur dans le tripot en faveur de l’expulsée.
Monvel.
L’Ingénieux.
Vaisseau rare pour les qualités.
Ce comédien est en même temps auteur et fait des pièces de théâtre.
Augé.
L’Admirable.
Vaisseau à conserver.
Excellent comédien dans les rôles de valet et d’un genre difficile.
D’Azincour.
Le Neuf.
À examiner.
Ce comédien n’est reçu que de 1778.
Fleury.
Le Véridique.
Vaisseau d’une batterie qui fait fuir tout ce qui approche.
Éloge du caractère de cet acteur.
Mlle Sainval,
cadette.
La Sensible.
Bâtiment peu durable.
Cette actrice a de l’âme, mais de faibles moyens.
Mlle Doligny.
Le Séduisant.
Vaisseau à réformer.
Actrice qui a plu longtemps, sans qu’on sache trop pourquoi et sans moyens.
Mlle Fanier.
Le Prétendant.
Vaisseau qui a besoin d’un fréquent calfatage.
Actrice très apprêtée dans son jeu et surtout dans sa toilette.
FRÉGATES
MlleLa Chassaigne.
L’Insouciante.
Durera longtemps.
Caractère de cette actrice.
Mlle Contat.
La Dédaigneuse.
N’attrape rien.
Caractère de cette actrice, peu renommée pour ses conquêtes.
Le capitaine Raucoux, corsaire vigoureux, montant la Sophie2 , avec 500 volontaires, des deux sexes, vient de se joindre à l’escadre blanche. Ce bâtiment armé à Florence, est malheureusement, quoique construit depuis peu, très fatigué, vu son service fréquent, surtout dans son arrière, par une artillerie trop forte. On ne croit pas qu’il puisse tenir la mer longtemps, et le lundi 13 il a essuyé un grain violent, à la hauteur de l’île Phèdre3 qui l’aurait fait relâcher, si le capitaine Raucoux n’était intrépide. Il a seulement usé de prudence, et vogue sous ses basses voiles.
L’amiral Vestris a commencé les hostilités et donné chasse à l’amiral Sainval, qui, contrarié par le vent, sans munitions et mal secondé des siens, a été coupé et forcé de gagner quelque port neutre.
Le commandement aurait dû être dévolu à Sainval cadette, capitaine du Sensible ; mais n’étant pas mieux secondée, elle est allée solliciter les secours de la reine Melpomène.
Pendant ce temps toute l’escadre rouge, affamée, s’est rendue au Duras, sauf le capitaine Molé, qui s’est expliqué hautement, au risque d’être démonté ; et si les renforts de la reine Melpomène n’arrivent promptement, ses états sont absolument à la veille d’être dévastés par les ennemis.
On assure que la retraite du capitaine Sainval cadette ayant donné des inquiétudes, on a fait l’impossible pour le ramener, et qu’il servira sous les ordres de l’amiral de l’escadre blanche ; lâcheté dont on s’indigne.
Le prince des Nains4 , qui aime singulièrement le corsaire Raucoux, à cause du bâtiment qu’elle monte, sur lequel il a fait quelques traversées, s’intéresse fortement à elle, et lui a concilié la Reine et les princes de la famille royale.
- 1Dans l'ordre: Nom du comédien / Nom du navire censé le représenter / Caractéristique du navire / Caractéristique du comédien
- 2Il faut savoir que Mlle Arnoux se nomme Sophie, et c’est ainsi qu’elle est surtout appelée parmi les tribades (M.).
- 3Mlle Raucoux a été violemment sifflée à une représentation de la tragédie de Phèdre où elle jouait (M.).
- 4Le prince d’Henin, l’amoureux de Mlle Arnoux, et qui en conséquence protège Mlle Raucoux (M.).
F.Fr.13653, p.27-35 - Bachaumont, XIV,191-197 (nombreuses variantes)
Note « pamphlet du parti de Mlle Sainval »