Réponse de M. le comte de … à M. le marquis de …
Réponse de M. le comte de … à M. le marquis de
J’étais déjà informé, Monsieur, de la manière dont le Sr Languet traite la noblesse de son diocèse dans sa dernière lettre circulaire à ses curés. Celui de ma paroisse, très estimé de feu M. de Chavigny, mais trop honnête homme pour être bien dans celui de son successeur, m’apporta cette pièce dès qu’il l’eut reçue. J’y remarquai bientôt l’endroit qui vous révolte contre lui ; j’en fus piqué comme vous, Monsieur, mais je n’en fus nullement surpris. On doit s’attendre à tout de la part d’un homme de son être. Les rêveries de Marie A la Coque qu’il a eu le front de mettre au jour, ne prouve que trop qu’il est capable de porter l’extravagance aussi loin qu’elle peut aller. C’est, Monsieur, la première réflexion que me fit naître l’insulte qu’il nous fait dans sa lettre, sans en être autrement ému. Je dis à mon curé que je mettais l’épithète injurieuse qu’il nous applique au nom des visions de sa prétendue sainte. Dans le fond, ses insultes sont sans conséquence. Un homme aussi décrié à la cour et parmi les gens d’honneur que le S. Languet est plus digne de notre mépris que de notre colère ; il n’y a qu’à l’abandonner à l’auteur des Nouvelles ecclésiastiques et il nous en fera bientôt raison ; mais comme il ne sait plus rougir de rien, que sa fortune lui tient lieu de réputation dans le monde, et que d’ailleurs nous sommes obligés de venger toute la noblesse intéressée dans cet affront, voici un expédient qui me paraît plus propre à le punir de son insolence. Voyez les gentilhommes de votre canton, engagez-les à signer la requête que je vous envoie. J’écris à M le marquis de… d’en faire autant dans le sien ; je me charge de la faire signer par tous ceux du mien, et par tous les gens de qualité de Paris qui ont des terres dans le diocèse ; je n’en connais aucun qui ne le fasse de bonne grâce. Dès que j’aurai reçu les copies que je vous envoie et à M. le marquis de…, je pars aussitôt pour Versailles pour la présenter au Roi, ou par moi-même, ou par quelque autre main sûre. Je sais bien que notre plainte n’aura pas tout le succès que nous en pourrions espérer sous un ministre peu favorable à la noblesse, mais il est toujours bon qu’on sache dans le monde qu’elle ne s’endort point sur le point d’honneur, et quelque respect qu’elle ait pour l’épiscopat, elle n’est pas d’humeur à souffrir patiemment qu’il lui insulte sans raison, surtout dans un temps où l’on voit à cette dignité que trop de roturiers et de publicains, gens qui n’ont d’autre mérite que celui d’être de viles créatures du ministre et des jésuites. Les Richelieu, les Mazarin, tout puissants qu’ils étaient, n’auraient jamais placé sur le siège de Sens un Languet, sans parler de quantité d’autres de la même trempe qui, à la honte de l’épiscopat occupent les premières place de l’Église de France et qui sont tellement élèves de leur fortune, qu’ils sacrifient au pape leur religion, leur Roi et leur patrie. Un Languet, son nom seul révolte. Si je n’avais pas plus de ménagement pour le caractère épiscopal qu’il en a pour nous, que Maulin ( ?) me fournirait ici un beau trait ! Mais cela aurait trop l’air de récrimination.
Au reste, Monsieur, savez-vous que c’est beaucoup d’ennui et une charge de moins pour la noblesse de son diocèse qu’il se soit si vilainement brouillé avec elle. Comme il ne fait jamais meilleure chère que hors de chez lui et qu’il n’en est pas ennemi, tout Sulpicien qu’il paraisse, nous l’aurions eu les trois-quarts de l’année à notre table. Parbleu ! il n’a qu’à se présenter à la mienne, et je lui ferai sentir, sans être hautain, que je suis en droit de le mépriser ; je crois qu’il ne sera pas mieux reçu chez vous. Votre petit chevalier lui donnerait la chasse d’importance. C’est un aimable enfant qui sent bien ce qu’il est. Vous voulez bien que je l’embrasse. Mon épouse présente ses respects à Madame la marquise, que je prie d’agréer les miens.
J’ai l’honneur d’être, en attendant votre réponse, avec un parfait dévouement, Monsieur, votre…
F.Fr.13661, p.347-50 - F.Fr.15146, p.393-400 - F.Fr.15231, f°158-161