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Épitaphe du feu sieur de Voltaire par l'abbé Girard chanoine de Saint Honoré, auteur des Égarements de la raison.


Épitaphe du feu sieur de Voltaire par l'abbé Girard chanoine de Saint Honoré, auteur des Égarements de la raison1 .

Cî gît

Marie François Arouet de Voltaire (si ces noms de baptême peuvent lui rester encore) gentihomme ordinaire de la Chambre du Roi, l'un des quarante de l'Académie française, seigneur de Ferney etc, etc, etc.

L’un des plus fameux écrivains de son siècle et de la Nation ; mais le moins estimable peut-être et pour les esprits frivoles le plus dangereux.

Versificateur charmant

Auteur souvent délicat et plein de goût de quelques pièces fugitives, sans être par aucun de ses ouvrages ce qu'on peut appeler un grand poète.

Le plus bel esprit de son temps

Et jamais un génie, puisqu'il n'eut point à un certain degré l'esprit créateur et le don de l'invention.

Faiseur de contes agréables

Mais quelquefois peu philosophiques quoique toujours empreints d'une philosophie, dont il a été l'apôtre et dont il se serait bien gardé d'être le martyr.

Célèbre par son poème épique

Qui n'est pas un poème, qui n'en a ni la force ni l'intérêt ; qu'il est difficile de lire de suite, plus difficile de lire tout entier, mais qu'on lira volontiers par fragments, dont on retiendra toujours avec un nouveau plaisir quelques images et un petit nombre de descriptions.

Mauvais lyrique, Poète peu comique, Bon tragique quelquefois

Mais infiniment au-dessous des Corneille et des Racine, dont il n'a pas tenu à lui qu'on dédaignât les chefs-d’œuvre.

Trop connu

par des ouvrages licencieux et impies, la honte de celui qui les a faits et l'opprobre de ceux qui les admirent.

Auteur de mélanges

Où le faux l’emporte toujours sur le vrai, où brillent presque partout les fausses lueurs du bel esprit et rarement l'esprit de la véritable sagesse, et les lumières de la saine raison ; où les mêmes idées reparaissent presque à chaque instant sous une forme différente et fatiguent à la fin par leur ennuyeuse répétition.

Historien peu véridique,

Parce qu'il a tout ramené à ses vues qui étaient de détruire le christianisme et d’établir le tolérantisme ou l'indifférence pour toute religion.

Homme universel


Ou qui a eu la manie de chercher à le paraître ; (se hasardant de parler ou d’écrire sur des matières que le plus souvent il n'entendait pas) qui a prétendu regagner en superficie ce qu'il perdait en profondeur ; qui a voulu montrer de la science à qui il n'a manqué pour être savant que de l'érudition.

Unique

En genre de persiflage de sarcasmes et de plaisanteries : il a dû ses plus grands succès au rare talent de tourner en ridicule les objets les plus respectables, et de donner aux vérités les mieux établies l'apparence de l'absurdité et du mensonge.

Rival secret de Jésus-Christ

Chrétien par jeu, par politique et dans certains moments par peur, par conviction peut-être ; antichrétien par goût, par passion et surtout par orgueil.

Tel a été Marie-François Arouet de Voltaire, seigneur de Ferney qui posséda son cœur et conserve encore les monuments qu'il a élevés pendant sa vie à son orgueil. La postérité juge impartial et équitable pourra le regarder si l'on veut comme le plus bel esprit qui ait existé ; mais elle ne lui donnera jamais le titre de génie : elle retranchera de ses œuvres, ce qu'il a fait de plus frivole et de plus dangereux, pour arracher à l'oubli des temps, ce qu'il a composé de plus solide ; ajoutant à la suite de ses ouvrages, les Lettres de quelques juifs portugais2 qui lui ont fait passer bien des mauvaises nuits.


  • 1Philippe-Louis Gérard (et non Girard)], Le comte de Valmont ou les Égarements de la raison, Letres recueillies et publiées par M…, Paris, Moutard, 1774.
  • 2Lettres de quelques juifs portugais et allemands à M. de Voltaire, avec des réflexions critiques et un petit commentaire extrait d’un plus grand [par l’abbé Antoine Guenée], Lisbonne [Paris, Prault], 1769, VIII-426 [L (ouvrage au eu trois autres éditions avant la mort de Voltaire

Numéro
£0305


Année
1778

Auteur
Gérard, abbé



Références

Hardy, V, 451-52