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Sommaire des prouesses, faits merveilleux arrivés dans Lutèce, capitale du royaume des Lesgau depuis l’Egire

Sommaire des prouesses, faits merveilleux arrivés dans Lutèce, capitale du royaume des Lesgau depuis l’Egire

 

Chapitre premier1

Comme quoi Dieu au vœu des manants et habitants de Lutèce surnommés Daubax (badauds) leur a donné pour les gouverner le prince Sequinzouil (Louis Quinze) qui avait été élevé dans son bas âge, en tout bien et en tout honneur par le Docteur Lerivoil (de Villeroy) et la chaste Dartouven (Ventadour).

 

Chapitre deuxième2

Comme quoi Borgnognio (le duc de Bourbon) trouvant le prince Sequinzouil de taille accorte et de complexion vigoureuse, fit venir de la haute Magernie (Germanie) la grosse Manon, fille de Pierre Martin, et la lui donna pour femme au grand émerveillement des habitants de Lutèce, qui sautèrent et repudièrent de cette belle accointance. Comme quoi le prince Sequinzouil a a fait sauter et gambader la grosse Manon pendant deux lustres et plus sans que personne osa troubler la danse.

 

Chapitre troisième3

Comme quoi Sequinzouil las de danser avec la grosse Manon, désira changer de danseuse, trouva le marquis Chelieuri (Richelieu) qui lui donna pour figurer la comtesse de Bonne figue, laquelle sauta et ganbada si terriblement qu’elle en devint enflée, de laquelle enflure elle ne put guérir que par la mort.

 

Chapitre quatrième4

Comme quoi le prince de Sequinzouil avait goûté moult plaisirs dans la gambade de la comtesse de Bonne figue ; comme quoi il cuida en prendre avec la comtesse du Marteau (Mailly) sa sœur, qui ja ribaudait de ça de là ; comme quoi il la fit entrer en danse, mais advint que le ménestrier ayant joué faux, le prince de Sequinzouil manqua son premier pas ; comme quoi depuis ils ont sauté et gambadé ensemble pendant long temps, au grand étonnement des daubax qui ne cessèrent de clabauder contre le prince Sequinzouil et la comtesse du Marteau, tant qu’à la fin ils quitttèrent la danse.

 

Chapitre cinquième5

Comme quoi le prince Sequinzouil étant en chevance de danser, a voulu continuer avec son même ménestrier, lequel lui donna pour figurer la comtesse de Lentourla (La Tournelle), une des prévôtes de sa salle ; mais Sequinzouil après avoir dansé quelques tours, fut attaqué par l’instigation du Diable, d’une maladie dont il cuida mourir, de sorte qu’il promit à celui-ci de ne plus danser et renvoya aussitôt la danseuse qui creva peu après de douleur de ne plus gambader.

 

Chapitre sixième6

Comme quoi le prince Sequinzouil trompa le Diable et revint de mort à vie, et comme quoi il arriva dans Lutèce avec un sobriquet qui depuis n’a voulu garder.

 

Chapitre septième7

Comme quoi le prince Sequinzouil pour s’ébaudir, s’amusa depuis à la pêche ; comme quoi il prit un brochet vorace qu’il mit dans un grand étang où il mangea non seulement l’alevin, mais les plus gros poissons ; comme quoi par bizarrerie ce brochet vorace, quoique vivant, était tout accommodé à la sauce blanche.

 

Chapitre huitième8

S’ensuit la chronique de plusieurs pieux chevaliers, seigneurs et damoiselles de la cour de Sequinzouil ; comme quoi Sancho Pança (le duc d’Orléans), l’un d’eux, épousa la soeur du prince Tinoc (Conti) ; comme quoi icelle gaillarde ribaudait moult grandement avec le preux chevalier de Formel (Melfort) et d’icelui ribaudage est avenu gentil bâtard qui fut reconnu pour tel par le prince des Guespins, son grand-père ; comme quoi Sancho Pança paillard dansa avec gentille garce, au grand émerveillement de tous, et cuidait se venger par cesdits ébats de la sœur du prince Tinoc, sa femme.

 

Chapitre neuvième9

Comme quoi le prince Tinoc, après avoir mangé et ribaudé tout son avoir, s’est retiré dans l’île Dama (l’Isle Adam) pour y vivre en ermite ; comme quoi il s’y est enfermé avec la sunamite Napeautidar pour y faire pénitence et s’y flageler l’un et l’autre.

 

Chapitre dixième10

Comme quoi le comte Moreslen (Clermont), après le célibat put paillarder plus saintement avec gentille saltimbanque ; comme quoi Marcagene (Camargo) a ribaudé pendant laps de temps avec icelui Moreslen, ja qu’elle a apostasié dpuis avec le fils du juif Marberd (Bernard) ; comme quoi une autre saltimbanque nommé Duclé (Leduc) par œuvre du tout charitable, a réduit le comte Moreslen sans maille ni denier ; comme quoi cet insigne paillard escamotait en tout genre, jaçois qu’il n’eut ni esprit ni honneur.

 

Chapire onzième11

Où se voit le martyrologe et les noms des vizirs et bachas de l’empire de Lutèce, lesquels pour l’amour du Diable ont réduit les uns et les autres des Daubax (badauds) au dernier carolu ; comme quoi le vizir Culcher (cardinal de Fleury) qui jà n’en pouvait plus, gambadait avec la princesse Sbrigani (Carignan) ; comme quoi elle le menait par le nez et lui faisait faire sottises et injustices sans nombre.

 

Chapitre douzième12

Comme quoi Sequinzouil après la mort de Culcher, fut empêché dans le choix d’un vizir et de plusieurs bachas ; comme quoi après plusieurs tours de cartes, le sort tomba sur Dorganon (D’Argenson) ; comme quoi icelui Dorganon était issu d’un père, maître passé en tout genre de friponnerie, qui mourut pour lors de lèpre qu’il laissa par héritage à son fils, lequel pour la plus grande gloire du Diable, travailla de son mieux pour son accroissement, auquel il réussit si très parfaitement que c’est merveille de le voir tromper tous les saints du paradis, et notamment saint Cosme ; comme quoi icelui Dorganon, pour le bien de l’empire de Lutèce, éloigna d’icelui empire nombre de sujets qui jà travaillaient à son détriment par des factions et des menées ; comme quoi il réussit si bien que le prince Sequinzouil le dota de toute son affection.

  • 1Louis XV fut proclamé roi de France le 2 septembre 1715. Il était pour lors âgé de cinq ans et demi. Le maréchal de Villeroy fut nommé gouverneur du Roi lorsqu Madame la duchesse de Ventadour qui en était gouvernante, l’eut remis dans les mains des hommes. L’on peut dire à la louange de l’un et de l’autre qu’ils ont eu un soin particulier pour l’éducation du Roi.
  • 2M. le duc de Bourbon, après la mort de M. le Régent, fut fait premier ministre et demanda la surintendance du Roi qu’il n’obtint pas, mais cela ne l’empêcha pas de négocier le mariage du Roi avec la princesse Marie Leczinska, fille de Stanislas, roi de Pologne, qu’il fit venir de la haute Allemagne. Ce mariage s’est fait à Fontainebleau au mois de septembre 1725. Le Roi a vécu pendant l’espace de 12 ans avec cette princesse dans l’union la plus étroite. Il avait pour elle un attachement dont jamais prince n’a été susceptible. Ils ont eu ensemble neuf enfants, dont deux garçons et sept filles.
  • 3Vers le commencement de l’année 1737, le Roi prit de l’amour pour Mme la duchesse de Vintimille. Son attachement pour elle ne parut point. Leurs entretiens étaient fort secrets, mais le fruit de leurs amours, qui vit le jour quelque temps après, décela le mystère ; mais aussi il occasionna la mort de Mme la comtesse de Vintimille, dont le Roi ne put s’empêcher de manifester de la douleur. Nota - Elle mit au monde le comte de Marseille, et c’est pour cela que sa mère, la comtesse de Vintimille, est appelée la comtesse de Bonne figue.
  • 4Le Roi, pendant la grossesse de Mme de Vintimille, avait lié avec la comtesse de Mailly, sa sœur ; celle-ci, habile et expérimentée dans les intrigues, ne tarda pas à faire connaître sa prérogative. On en glosa beacuoup, mais au-dessus qu’elle était du préjugé, elle n’en fut que plus fière. Elle a régné sept ans, pendant lesquels on ne peut lui reprocher d’avoir tiré de l’État des sommes d’argent. Le seul reproche qu’on pouvait lui faire, c’est d’avoir laissé sa famille sans avancement et son père, le marquis de Nesle, dans l’impossibilité de payer ses dettes. Mme la comtesse de Mailly était de grande taille, maigre, le visage affilé, des yeux noirs, un grand nez. Après la disgrâce arrivée en 1744, ele se jeta dans la dévotion et y est morte avec la volonté d’être enterrée dans la fosse commune au cimetière des Saints-Innocents. Nota. La première fois que le Roi se trouva seul avec Mme la comtesse de Mailly, et dans le moment où il croyait d’être heureux, il lui prit une faiblesse qui mit obstacle au bonheur qu’il se promettait.
  • 5M. de Richelieu, qui voulait du bien à Mme la comtesse de la Tournelle, sœur des deux précédentes, par reconnaissance des services qu’elle lui avait rendus, réussit avec beaucoup de peine à négocier une intrigue d’amour entre elle et le Roi. La première entrevue s’en fit à Choisy. Il fut si content dans la possession de cette nouvelle maîtresse qu’il ne tarda pas à lui en donner des marques. Il acheta le duché de Châteauroux, lui en fit présent avec le titre de duchesse. Le Roi partit cette année pour joindre son armée de Flandre. Mme de Châteauroux l’y suivit ; le Roi ayant visité son armée de Flandre, désirant voir celle d’Allemagne, partit pour Strasbourg, où il ne fut pas de suite, car il fut surpris à Metz d’une maladie si sérieuse que tout le monde désespérait de sa vie. Il reçut ses sacrements, mais ce ne fut qu’après que l’évêque de Soissons (Filtz-James) lui eut insinué qu’il fallait congédier la duchesse de Châteauroux, ce qui fut exécuté. Elle revint à Paris, y tomba malade et mourut. – Nota. Dans le cours de cette maladie, le Roi, qui était de retour à Versailles, envoyait deux fois par jour savoir des nouvelles de sa santé. Deux jours avant de mourir, le Roi avait chargé M. de Maurepas de lui dire qu’elle songeât à se rétablir, qu’il la rappellait à la Cour.
  • 6Le Roi, après sa convalescence, fut à Strasbourg et de là revint à Paris où l’on avait fait tendre les rues de tapisseries, et où il fut reçu avec de grandes acclamations de tout le peuple qui le surnomma dès lors Louis XV le Bien aimé, titre que peu de temps après on eut regret de lui avoir donné. – Nota. Il promit bien des choses en recevant les sacrements, et particulièrement de n’avoir plus de maîtresse. Il n’a tenu aucune de ses promesses.
  • 7Le Roi, pendant les fêtes qui furent données à l’occasion du premier mariage de M. le Dauphin, vit plusieurs fois la femme de M. le Normant d’Étioles, fermier général, fille du S. Poisson, ci-devant employé dans les vivres et de la Dlle La Motte, fille du S. de la Motte, ancien boucher des Invalides. Celle-ci a passé ppour la plus rusée coquette de son règne. Elle était maîtresse du S. le Normant d’Etioles. C’est par ses intrigues qu’elle est parvenue à faire celle-ci favorite du Roi quelques années après son mariage. Dès que la Dlle d’Étioles a été en faveur, elle a procuré à toute sa famille des avantages considérables. Elle a fait l’oncle de son mari directeur des bâtiments du Roi ; son mari et son oncle maternel fermier généraux, son frère d’abord capitaine des chasses, ensuite directeur des bâtiments du Roi, des cousins et cousines fermiers et femmes de fermiers généraux et autres places éminentes. Elle s’est fait donner le titre de marquise de Pompadour et en dernier lieu un brevet qui lui donne les honneurs de duchesse. Voyez au surplus le livre intitulé Les Poissons. – Nota. Elle a toujours des fleurs blanches ; c’est pour cela qu’on l’appelle le brochet à la sauce blanche.
  • 8Le duc d’Orléans d’aujourd’hui est extrêmement gros. Il a épousé la sœur du prince de Conti qui est très vive et très débauchée. Son commerce avec le comte de Melfort est connu de tout le monde. L’on prétend même que le duc de Chartres et Mlle de Montpensier proviennent du fruit de leurs amours. Ce qu’il y a de certain, c’est que M. le duc d’Orléans, père de celui-ci, étant au lit de la mort, n’a pas voulu les reconnaître pour ses petits-enfants. Il est appelé le prince des Guespins, parce que les habitants d’Orléans sont appelés Guespins. Le duc d’Orléans d’aujourd’hui est très débauché. Il a déjà eu beaucoup de maîtresses et court malgré cela tous les bordels de Paris. Il ne voit plus sa femme depuis longtemps, mais elle s’en console dans les bras de celui qu’elle peut attraper. Elle a le maintien de la plus grande gourgandine de Paris et en fait parade.
  • 9Le prince Conti s’est trouvé en 1740 dans une telle extrémité qu’un jour son intendant vint lui représenter que personne ne voulait plus lui faire de crédit, excepté le rôtisseur ; que cependant il n’y avait plus de foin ni avoine dans la maison pour donner aux chevaux Sur quoi le prince de Conti fit cette jolie répartie à son intendant : qu’on leur donne des poulardes. Quelque temps après il se retira presque tout-à-fait à l’Isle-Adam avec Mme Panau d’Arly, sœur de Mme Dupin, fermière générale, et de Mme de la Touche qui a passé en Angleterre en 1736 pour suivre milord Kingston. Elles sont toutes trois, filles de Mme Fontaine, maîtresse de Samuel Bernard. La chronique veut que le prince de Conti et la Dame d’Arly se sont battus l’un et l’autre comme des diables, et ce pour des écus.
  • 10Le comte de Clermont a été fait abbé de Saint-Germain-des-Prés après la mort du cardinal de Bissy, avec un bref du pape qui lui accorde dix ans pour prendre ou quitter le parti de l’Église, avec faculté de porter les armes dans les armées du Roi. Il eut d’abord pour maîtresse la Camargo, danseuse de l’Opéra, qu’il a gardée pendant sept années, après quoi il enleva la Leduc, aussi danseuse à l’Opéra, et maîtresse de Bernard de Rieux qui, pour s’en venger, prit la Camargo, à qui il donna pour arrhes du marché une écuelle d’or remplie de louis. Le comte de Clermont depuis cet échange a toujours gardé la Leduc qui le mena par le nez et lui fit faire ce qu’elle voulut. Il s’est considérablement endetté pour elle. Il ne voit que la lie du peuple. Il escroque de côté d’autre tout ce qu’il peut. Tous ses bénéfices sont engagés. C’est un pauvre sujet.
  • 11ercule de Fleury, cardinal et premier ministre ; tout le monde a connu son génie et sa capacité. La chronique dit qu’il s’amusait avec la princesse de Carignan qui contrefaisait la dévote pour mieux duper le public. Elle lui faisait faire tout ce qu’elle voulait. On obtenait tout par son canal, pourvu qu’on la sollicitât la bourse au col. C’est elle qui a conservé si longtemps M. Chauvelin dans sa place de garde des Sceaux et de ministre des affaires étrangères. Le Cardinal de Fleury est mort au mois de janvier 1743 au grand contentement de tout le monde, comme si on dût espérer un meilleur sort sous un autre ministère. Il est avenu le contraire, comme on verra au chapitre suivant.
  • 12Le Roi exila M. de Maurepas en 1749 pour avoir fait un couplet de chanson contre Mme de Pompadour, où il reprochait à celle-ci d’avoir toujours des fleurs blanches, et il nomma M. d’Argenson à sa place pour le département de Paris. Il était déjà ministre de la Guerre. Le père de M. d’Argenson avait été fort longtemps lieutenant général de police, place dans laquelle il avait fait nombre de friponneries. Il fut fait garde des Sceaux par M. le Régent, et mourut de la chaude-pisse dans un couvent de filles où il s’était retiré. M. d’Argenson actuellement ministre de la Guerre est rongé de la vérole. L’on ne peut point dire le nombre de lettres de cachet expédiées, tant pour exil que pour prison, depuis que cet homme est en place. Il a su subjuguer si bien l’esprit du Roi qu’il fait tout ce qu’il veut. Il a mis nombre de personnes incapables dans des places éminentes, tel que M. de Lamoignon de Blancmesnil dans celle de chancelier, tel que M. Rouillé dans les Affaires étrangères. Il en a conservé d’autres dans des places où ils n’entendaient rien, tel que M. de Bernage dans celle de prévôt des marchands. Il a mis de nouveau en but le parti moliniste contre le janséniste. Le bruit court qu’il a reçu pour cela des sommes considérables des jésuites. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il est leur plus zélé protecteur. Son but est d’anéantir le Parlement, d’être fait duc et pair et premier ministre. On ne peut se refuser de dire que cet homme est le plus grand esprit de France. Il fait voir dans toutes les occasions que sa tête ne lui manque jamais, quoiqu’il ait tous les princes du sang, la noblesse, le Parlement et l’État contre lui. Il n’en est point pour cela démonté. Il est aisé dans ses conversations, d’une politesse infinie et, quoique livré à ses plaisirs, il est toujours en garde contre quiconque veut l’attaquer ; il a toujours de l’emplâtre prêt pour le mal qu’on veut lui faire. Deux mots de sa bouche dits au Roi détournent tous les orages. On peut dire en un mot que cet homme est en état par son esprit de faire autant de bien à la France qu’il lui fait de mal.

Numéro
£0411


Année
1756




Références

F.Fr.10479, f°447-450 - NAF.9148, p.463-69