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Lettre écrite au sujet de la dernière assemblée du clergé – 1725

Lettre écrite au sujet de la dernière assemblée du clergé – 1725

Nosseigneurs les évêques avaient établi un petit comité qu’ils avaient appelé le bureau de la doctrine. De mauvais plaisants disaient que le bureau ressemblait à ceux de la banque, et l’on voyait écrit en grosses lettres Bureau de l’or, bureau de l’argent. Ceux qui y entraient ne trouvaient que du papier ; assurément cette comparaison est bien fausse. Le Bureau de doctrine a été composé de prélats, tous connus dans l’Église, à la Cour, chez les femmes et même ailleurs ; les uns connus par une profonde doctrine, les autres par la pureté de leurs mœurs, ceux-ci par un zèle qui n’a jamais approché du fanatisme, par une modération toujours opposée à l’esprit de parti ; ceux-là par une mâle éloquence qu’on n’a jamais soupçonnée de protectionnisme.

Les successeurs des apôtres ont été assemblés longtemps pour confondre je ne sais quels impies abominables appelés jansénistes, gens dangereux dans un État, qui prétendent qu’on peut à la vérité contester quelquefois les constitutions des papes, mais qu’il faut toujours obéir aux princes et payer ses dettes et ses impôts.

Nosseigneurs les évêques, après beaucoup de séances et un mûr examen ont solennellement déclaré qu’ils n’avaient pas eu le temps de songer aux affaires spirituelles, parce que les temporelles les avaient trop occupés.

Le public, qui connaît leur désintéressement les a crus volontiers sur leurs paroles.

Enfin, Monsieur, voici leurs résolutions sur ce temporel auquel ils ont donné si facilement la préférence ; il a semblé bon au Saint-Esprit de ne point payer leurs créanciers et refuser à l’État les contributions auxquelles les autres sujets se sont soumis.

A l’égard de leurs dettes, on n’est pas supris que Nosseigneurs, assemblés en corps, fassent d’un commun consentement ce que chacun d’eux fait quelquefois en particulier.

D’ailleurs les contrats de rentes que tant de familles ont sur le clergé depuis plus de cent années ont été déjà si justement réduits au denier 50 par la discrétion de Nosseigneurs, qu’on peut avec la même justice les anéantir tout à fait.

Ces successeurs des apôtres ne pourront prêcher autrement ni plus efficacement la pauvreté évangélique.

Pour ce qui concerne le 50e denier, ne serait-ce pas un sacrilège manifeste de leur en proposer le paiement ? les charges nécessaires de l’État doivent tomber sur la noblesse qui prodigue son bien et son sang dans le service ; elles doivent tomber sur la bourgeoisie qui fait fleurir le commerce ; sur les laboureurs qui sont les nourriciers de leurs citoyens ; sur les artisans qui vivent du travail de leurs mains ; tous doivent secourir l’État, les uns de leurs patrimoines, les autres du fruit de leurs industries ; mais serait-il juste qu’un gros bénéficier qui, né sans aucun bien, se trouve sans aucune peine pourvu d’abbayes considérables, et qui, malgré son opulence, n’a pas au bout de l’an de quoi donner axu pauvres, puisse donner au Roi ?

L’ordre du clergé, qui possède le tiers des revenus du royaume, ne peut sans doute en payer le 50e, et quand il le pourrait, les droits de la religion lui sont trop chers pour les trahir.

Ils se souviennent qu’autrefois l’Église était exempte des contributions lorsqu’elle était pauvre, et ils veulent avec raison que leurs immunités s’accroissent tous les jours avec leurs richesses.

Ils payeront volontiers au pape les annates d’un bénéfice qu’on voudra leur donner, mais ils se déshonoreraient de payer à leur Roi et à la Patrie la 50e partie du revenu des bénéfices qu’ils tiennent de la libéralité du Roi.

Les peuples sont persuadés de la justice de leurs causes et si édifiés depuis longtemps de leur conduite qu’il n’y a point sans doute de seigneurs ni de fermiers qui, s’étant acquittés des devoirs d’un bon citoyen en contribuant au soulagement de l’État, ne prennent les armes pour empêcher qu’un prélat, qu’un abbé commendataire ne soit exposé à l’horrible nécessité d’en payer sa part.

Voilà, Monsieur, ce que l’on pense de Nosseigneurs. Le public rend justice à leur humilité, à leur désintéressement et à leur amour pour la patrie et pour la paix, et si on nous en croyait, au lieu de les obliger à payer leurs impôts et leurs dettes, on augmenterait encore leurs biens pour l’édification du prochain et le salut de leurs âmes.

Numéro
£0344


Année
1725




Références

Arsenal 2975/1, p.125