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Lettre écrite à saint-Cyr, le 1er septembre 1715

Lettre écrite à Saint-Cyr le 1er septembre 17151

 

Je me dérobe ce moment, Madame, aux occupations lugubres où nous sommes dans cette maison, où tout est en pleurs et en désolation. J’ai cru que vous ayant mandé la fin heureuse de Monseigneur le Dauphin et de Madame la Dauphine, vous me sauriez bon gré de vous écrire ce que j’ai  appris de la mort de notre grand Roi que Dieu vient de retirer de ce monde ce jourd’hui à huit heures et demie du matin. Rin n’est si consolant dans cette extrême affliction que les dispositions saintes et édifiantes, dans lesquelles ce pieux Prince a envisagé et a accepté la mort dès qu’il sentit que son mal redoublait. Il s’empressa lui-même de se confesser et demanda les derniers sacrements que M. Le cardinal de Rohan lui administra dimanche au soir, fête de Saint-Louis à neuf heures. Il donna dans ces moments précieux toutes les marques de religion les plus touchantes, faisant plusieurs actes de foi, de douleur, de confiance et d’humilité. Il voulut par respect recevoir le gage de notre salut sur son séant et sa perruque sur la tête. Il passa la nuit levant de temps en temps les mains et les yeux vers le Ciel, disant souvent : O mon Dieu, votre miséricorde est la seule chose dont j’aie maintenant besoin ; accordez-la moi, car toute mon espérance est en vous.

Le lendemain, se trouvant un peu mieux, il voulut voir tous les princes et princesses du sang, chacun en particulier, leur donna des avis paternels et leur dit adieu. Car du moment qu’il s’est senti attaqué, il dit à madame de Maintenon : J’en mourai, il faut mettre ordre à tout. Voyant de officiers fondre en larmes autour de son lit, il les consola en leur disant : Quoi, mes enfants, me pensiez-vous immortel ? Pour moi, je ne  l’ai jamais cru être. Ily a longtemps que j’ai envisagé cette heure.

Une des circonstances des plus touchantes est le discours qu’il fit au jeune roi qu’il demanda à voir. Mon fils, lui dit-il, vous allez être le plus grand roi du monde ; mais souvenez-vous que vous n’êtes rien qu’autant que vous vous attacherez à Dieu et à la Religion. Vous devez juger  des grandeur humaines par l’état où vous me voyez. Ne m’imitez pas dans le goût que j’ai eu des guerres. Vivez en paix et maintenez-y vos sujets. Aimez-les comme je les ai aimés, et surtout soulagez-les plus que je n’ai fait, ne l’ayant pu par les guerres presque continuelles que jai eu à soutenir. Vivez mieux que moi. Réformez ce que j’ai mal fait, et notamment fuyez les attraits et les pasions des femmes qui me causent une si juste douleur, et qui sont maintenant l’objet de ma crainte, prêt à paraître devant mon Dieu. Puis, l’ayant embrassé par deux différentes fois avec une tendresse extrême, il lui donna sa béndiction et finit par ces paroles : Adieu, mon petit mignon.

Quoique ce grand prince ait toujours fait toutes choses avec une sagesse consommée et avec une grandeur d’âme à l’épreuve de tout, cependant sa sagesse et sa constance n’ont jamais tant éclaté que dans les derniers jours de sa vie. Il a travaillé trois heures entières le lundi avec M. le Chancelier. L’après-dîné, il a ordonné toutes choses pour le gouvernement, la demeure, l’éducation et les officiers du jeune Roi, même pour son habit de deuil, se souvenant seul de la manière dont il fut vêtu à la mot du feu Roi son père. Il a réglé le temps qu’il voulait  être exposé dans son lit après sa mort,   vingt-quatre heures, le lieu où il voulait être dans son lit de parade, qui est au haut de la grande galerie, à l’entrée du salon, où il fit dresser son trône pour la réception de l’ambassadeur de Perse, et cela pendant neuf jours seulement. Il a ordonné toute sa pompe funèbre. Il a donné son cœur aux Grands Jésuites de Paris  et ses entrailles à Notre-Dame. Il a recommandé ses amis et les personnes attachées à sa personne et à l’Etat, et en  particulier madame de Maintenon et la maison de Saint-Cyr à Mr le Duc d’Orléans. Enfin il a parlé et a réglé tout pour l’Etat, pour ses obsèques et pour son âme, avec la même présence et tranquillité d’esprit que s’il avait donné ordre pour le voyage de Fontainebleau qu’il était sur le point de faire lorsqu’il se sentit frappé de la mort.

Nous possédons présentement madame de Maintenon pour le reste de ses jours depuis vendredi après-midi,  parce qu’elle était comme à l’extrémité par la douleur et par la fatigue, et elle aurait expiré avec le roi si elle eût resté jusqu’à la fin. On ne peut la voir sans être saisi de la plus vive affliction. Mais les saintes dispositions du Roi adoucissent beaucoup sa douleur.

Je ne dois pas oublier ce trait. Ce bon Roi disait à cette Dame : Madame, j’espère beaucoup en la miséricorde de Dieu, quoique je ne le mérite pas. Mais j’y espère, parce que vous et mon confesseur me rassurez, et me dites que je le dois faire. Cependant je ne me consolerai jamais d’avoir offensé Dieu.

Ayant perdu la parole et la connaissance durant quatre heures la veille de sa mort, sitôt qu’il fut revenu, et ayant aperçu son confesseur, il lui demanda de nouveau une absolution générale, avec des marques réitérées de la plus vive douleur.

Il consola madame de Maintenon le dernier jour qu’elle le vit, et lui disait : J’ai compassion de votre état, Madame, il faut que vous ayez bien du courage et de l’amitié pour moi pour rester si longtemps. Mais ceci finira bientôt. Adieu, ma chère Dame, il faut nous séparer, mais nous nous reverrons dans peu, c’est ce qui me console. Adieu. Ne voyez pas plus longtemps un si triste spectacle. Ne m’oubliez pas, ni votre maison après ma mort.

Rien n’est plus fidèle que ce que je vous écris. Je sais combien votre sainte communauté s’intéresse à la mémoire de ce grand Roi et à l’affliction de madame de Maintenon. Adieu, ma chère fille, je vous embrasse du meilleur de mon cœur. Je voudrais avoir quelque chose de plus récréatif à vous mander pour vous dédommager de l’affliction où la présente va vous mettre ; je le ferais avec un sensible plaisir, étant avec une sincère et parfaite considération,

Madame,

Votret rès humble et très obéissante servante

Rogon.

  • 1Les deux pièces qui suivent (£0125, £0126) vont effacer celles qui ont tenté de ternir la mémoire du roi (M.).

Numéro
£0125


Année
1715 septembre




Références

F.Fr.12796, f°79v-82r


Notes

La pièce qui suit va effacer celles qui ont tenté de ternir la mémoire du roi (M.).