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Les beurrières à M. l’archevêque de Sens

Les beurrières à M. l’archevêque de Sens1

Monseigneur,

Rien n’est capable d’exprimer à Votre Grandeur toute l’étendue de notre reconnaissance ; la lettre anonyme à un conseiller n’eût pas plutôt vu le jour que deux arrêts consécutifs, l’un du Conseil, l’autre du Parlement, en interdirent l’usage au public pour nous l’assurer. Dès ce moment nous fûmes tentées de venir vous témoigner la joie que nous causait cette intéressante acquisition. Mais cet ouvrage, à l’exemple d’une infinité d’autres, n’étant pas universellement reconnu pour être de l’auteur dont il semblait porter le nom, nous attendions avec impatience qu’un nouveau chef-d’œuvre, dont l’origine fût mieux constatée, autorisât la liberté que nous avions dessein de prendre. Cet heureux moment est arrivé, Monseigneur. Un pénible ouvrage, bien digne par son immensité du fertile cerveau qui l’a enfanté vient, en vertu d’un arrêt de suppression de la part du Conseil, d’être déposé au trésor de la communauté pour qui j’ai l’honneur de vous porter la parole. Nous n’avions pu jusqu’à ce jour posséder ce précieux amas en totalité. Différents temps, à la vérité, nous en avaient procuré différentes parties, mais c’était d’une façon qui nous laissait toujours désirer qu’il s’en fît un recueil complet. En un mot nous n’aspirions qu’au moment de vous ensevelir tout d’un coup. Tantôt une instruction pastorale, tantôt un mandement, aujourd’hui dix pages de remarques sur les convulsions, demain 20 feuilles de Marie Alacoque, tous lambeaux qui ne faisaient qu’irriter nos désirs sans remplir pleinement notre attente. Mais que notre sort est changé ! Grâce à vos travaux, Monseigneur, que de gens vont envier aux heureuses beurrières l’éclatant dépôt qu’elles viennent d’acquérir ! Deux énormes volumes, deux épais in-folio, dont le moins étendu peut, à ce qu’on dit, lasser la patience des lecteurs les plus intrépides, entrent enfin dans notre magasin pour y faire renaître cette utile abondance qui semblait en être bannie pour jamais. Dieu bénisse les jours d’un prélat si capable d’accumuler nos trésors ! puisse-t-il conserver jusqu’au dernier soupir l’incomparable talent qu’il a de travailler pour nous et de ne travailler que pour nous.

En vain, Monseigneur, les ennemis de la communauté prétendent-ils rabaisser à nos yeux le mérite de ce respectable ouvrage en nous faisant remarquer qu’il est composé dans une langue que nous n’entendons pas. C’est par là même qu’en voulant nous le rendre moins précieux, il nous devient plus cher. Combien de bibliothèques sont remplies comme la nôtre aujourd’hui de livres  qui passent infiniment la portée étroite de leurs propriétaires qui pour cela ne laissent pas de s’en faire honneur ? Nous faisons plus, Monseigneur, nous osons espérer que la possession de ce savant ouvrage procurera à la communauté les grandes entrées en Sorbonne ; tant de gens deviennent aujourd’hui docteurs pour fréquenter des maisons qui en fourmillent que nous ne désespérons pas d’acquérir un jour le même grade, puisque sans sortir de chez nous, nous serons incessamment à portée de faire usage d’un livre capable de faire un docteur, et plus qu’un docteur.

  • 1Réaction ironique à deux récentes publications de Languet de Gergy: 1) Lettre de M. l’archevêque de * à un conseiller d’Etat (anonyme, 1751) 2) J.-J. Languet,... Opera omnia pro defensione constitutionis Unigenitus, et adversus ab ea appellantes, successive edita]. In latinam linguam conversa a variis doctoribus Parisiensibus & ab autore recognita & emendata. Tomus primus [-secundus] (1752), tous deux condamnées par arrêt du Conseil et du Parlement.

Numéro
£0364


Année
1752




Références

BHVP, MS 651, p.17-23 - BHVP, MS 662, f°86-88