Aller au contenu principal

Le pronostique. Lettre d’un Français à un Anglais, son ami, à Londres

Le pronostique. Lettre d’un Français à un Anglais, son ami, à Londres

 

Puisque vous le voulez, mon très cher ami, je vais vous exposer avec sincérité ce que je pense sur la manière dont va se dénouer le fameux différend qui divise aujourd’hui en France le ministère avec le Parlement.

Ne vous y trompez pas, et que ce mot de parlement ne vous fasse point illusion. L’idée que vous avez de votre parlement d’Angleterre ne doit jamais être confondue dans votre esprit avec celle que vous devez vous former des parlements de France. Ceux-ci, par leur constitution, ont bien le droit de concourir aux affaires de l’État, telles celles dont il s’agit à présent et qui consistent dans la tyrannie que le clergé veut exercer sur la conscience des Français. Mais, aveuglés par l’amour excessif qu’ils ont toujours eu pour leurs Rois, ils les ont laissés tranquillement usurper l’exercice de leurs droits, en ne s’opposant point du tout, ou pas assez fortement, à l’usurpation qui n’est pas nouvelle. Cela fait, aujourd’hui qu’ils voudraient se reprendre avec justice, ils trouvent tant de résistance de la part du Souverain qui conteste jusqu’à leur droit, sous le prétexte spécieux qu’ils ne l’exerçaient pas depuis longtemps. Ainsi les parlements de France n’ont pour eux que la justice ; mais dans ces climats malheureux, elle n’a ni force, ni vertu ; aussi est-elle réduite à faire de perpétuelles remontrances ; elle a eu beau éprouver cent fois l’inutilité de ce moyen, elle y revient toujours sans aller jamais au-delà, parce qu’en effet la voix des remontrances est le non plus ultra du pouvoir des parlements français. Ils ont, à la vérité, la force de choquer sans fruit les ministres qui leur sont contraires ; mais ils n’ont pas celle de les arrêter avec utilité par des coups d’éclat. En un mot, autant il est évident qu’ils jouissent d’une pleine liberté pour juger des affaires contentieuses et ordinaires des particuliers, autant il est démontré par l’expérience qu’ils ont les mains liées pour juger des affaires essentielles et capitales qui intéressent toute la nation. Le ministre de France au contraire, soutenu de cagotisme, a fait mettre dans ses intérêts les deux puissances spirituelle et temporelle ; leur pouvoir est le sien, et dans cette position il est en état de pouvoir tout entreprendre sans rien craindre, et si je conjecture bien, nous touchons au moment qu’il va changer la face de tous les parlements du royaume en excluant de de ces corps augustes dans un même temps tous les membres qui leur sont opposés et qu’il connaît parfaitement pour ne conserver que ceux qui lui sont entièrement dévoués.

À l’égard du vide qui les exclut, ils [sic] seront sans doute remplis par je ne sais combien d’intéressés qui n’attendent dpuis longtemps que ce coup décisif comme l’occasion du monde la plus favorable pour avancer considérablement leur fortune en favorisant tant qu’on voudra la Bulle, les billets de confession, les refus de sacrements et les évocations.

Au reste, vous vous tromperiez fort si vous croyiez que la considération d’un peuple tout attaché aux parlements, fut capable d’arrêter le grand coup qui va être frappé. Ce peuple qui fourmille d’honnêtes gens, aussi mécontents du gouvernement que bien intentionnés pour la patrie, ne sera compté pour rien, parce qu’on y a mesuré la [inachevé]

 

Numéro
£0404


Année
1753 novembre




Références

F.Fr.10479, f°318-19