Entretien au sujet du dernier mandement de l'évêque de Saint-Papoul
Entretien de Madame la marquise de… et de M. le chevalier de…
au sujet du dernier mandement de Monsieur l’évêque de Saint-Papoul
La marquise. - Eh bien, Monsieur le chevalier, vous rendez-vous maintenant à la vérité ?
Le chevalier. - A quel propos, Madame, me faites-vous cette question ?
La marquise. - Est-ce que vous n’avez point vu le mandement de M. de Saint-Papoul ?
Le chevalier. –Pardonnez-moi, je l’ai vu ; je l’ai même actuellement sur moi.
La marquise. - Mais l’avez-vous lu ?
Le chevalier. –Oui, Madame, et très attentivement.
La marquise. - Et vous n’en êtes point touché ?
Le chevalier. – Vous m’excuserez. En le lisant, j’ai véritablement été touché de compassion pour ce prélat.
La marquise. - Je vous trouve bien singulier. Tandis que tout Paris l’admire, vous l’honorez de votre compassion.
Le chevalier. - Tout Paris, c’est-à-dire tout ce qu’il y a de jansénistes à Paris. Encore en connais-je plusieurs qui conservent assez de sang-froid pour ne pas suivre si aisément le torrent, et je vous mets de ce nombre, Madame.
La marquise. - Je vous suis obligée, Monsieur. Après tout, comment refuser son admiration à un évêque qui a le courage de confesser publiquement que, par des vues d’ambition, il a abandonné la vérité, et persécuté ses défenseurs, qui en fait amende honorable à la face de toute l’Eglise, qui se déclare indigne d’un rang où il est parvenu par de si criminelles vues ; qui, à la fleur de son âge, pour réparer le scandale qu’il a donné, renonce à l’épiscopat et va passer ses jours dans la retraite et dans la pénitence.
Le chevalier. - Mais si cet évêque prend réellement l’erreur pour la vérité, et que ce qu’il appelle avoir abandonné la vérité et persécuté ses défenseurs, ce soit effectivement s’être déclaré contre l’erreur et ses partisans, n’est-il pas vrai en ce cas que sa confession publique, son amende honorable, l’abandon de sa place, sa retraite et sa pénitence, ne seront plus qu’illusion, que fanatisme ? Ainsi, Madame, pour nous faire admirer M. de Saint-Papoul dans la démarche qu'il a faite, il faudrait nous montrer que c’est réellement pour la vérité qu’il l’a faite, et que ce qu’il prend pour la vérité n’est que l’erreur.
La marquise. - Sa démarche même ne le montre-t-elle pas évidemment, et peut-on faire de tels sacrifices par un autre principe que l’amour de la vérité clairement connue ?
Le chevalier. – On les peut faire également par attachement pour l’erreur dont on s’entête, et qu’on prend pour la vérité. C’est de quoi toutes les sectes nous ont laissé des preuves ; toutes ont eu leurs martyrs, et même des martyrs évêques. Notre seule France nous en fournit des exemples. Rien donc, Madame, ne nous oblige d’admirer M. de Saint-Papoul et tous les constitutionnaires demeurent en droit de le regarder simplement en pitié pour les sacrifices qu’il a faits à l’erreur.
La marquise. - Oui, si vous montrez que c’est l’erreur qui les a faites.
Le chevalier. - Je le ferais sans peine, mais je n’ai à montrer ici autre chose, sinon que les sacrifices dont il s’agit, ne prouvent rien en faveur de la vérité ; et pour cela, il suffit de vous avoir fait toucher au doigt par l’exemple de toutes les sectes, qu’ils sont communs aux défenseurs de la vérité et partisans de l’erreur.
La marquise. - Quoi ! ce que nous voyons faire à M. de Saint-Papoul contre la Constitution, en faveur de l’Appel, ne prouve rien contre la Constitution en faveur des appelants ?
Le chevalier. – Rien du tout. On apprend seulement par là que ce prélat renonce à faire le personnage de constitutionnaire qu’il fait depuis plusieurs année, malgré les reproches de sa conscience, et qu’il renonce à l’épiscopat pour en faire pénitence.
La marquise. - Eh bien ! ce désintéressement, cette humilité, ce courage dans un évêque ne prouve donc rien, à votre avis, en faveur de la cause qu’il embrasse ?
Le chevalier. – Rien que ce que prouve en faveur du calvinisme ceux que nous avons vus abandonner la France, leur patrie, et ce qu’ils y possédaient de biens et d’emplois pour l’aller professer dans une terre étrangère. Tant d’hérétiques qui ont mieux aimé perdre la vie que de cesser de l’être, prouveraient sans doute bien mieux par là la bonté de leur cause que ne fait aujourd’hui M. de Saint-Papoul en renonçant à l’épiscopat pour ne pas renoncer au jansénisme.
La marquise. - Mais si son exemple ne prouve rien en faveur de notre cause, qu’en avez-vous à craindre, vous autres constitutionnaires, et pourquoi vous entend-on crier si haut au scandale ?
Le chevalier. - On craint que les personnes simples qui, n’étant point au fait des principes de la religion, raisonnant peu, n’approfondissant rien, sont le plus souvent séduites par le plus faibles apparences ; et les simples sont la multitude. Quoi de plus insensé que votre œuvre des convulsions, et quel renversement n’a-t-elle pas fait dans les têtes de Paris.
Au reste, le triomphe de votre Paris sur le mandement de M. de Saint-Papoul ne durera guère, ou je me trompe. Le public n’a besoin que de quelque moments de réflexions pour revenir d’une première impression qu’il en aura reçue. Après tout, dira-t-on, de quel intérêt est-il pour l’Église et pour ses décisions que M. de Ségur soit pour ou contre ? et auprès de qui l’autorité du corps des pasteurs peut-elle rien perdre parce qu’ils ne compteront plus M. de Saint-Papoul au nombre des leurs ? On sait quelle est la portée et l’étendue de ses lumières ; on sait où il a puisé ses connaissances théologiques. Jeune confrère de l’Oratoire au sortir d’une sous-lieutenance aux Gardes, il suivit le mouvement du corps et il appela de la Bulle sur la foi de ses supérieurs et de ses maîtres. Il s’en est tenu là et il ne paraît pas par son mandement qu’il ait depuis approfondi la matière et qu’il ait au fond changé de sentiment sur ce point. Il n’y a d’autres raisons pourquoi il se déclare de nouveau pour l’Appel, sinon que depuis sa sortie de la Congrégation, il l’a condamné par sa conduite.
La marquise. - Il ne manque à cet éloge du prélat que d’en faire un homme sans religion.
Le chevalier. - A prendre droit sur sa confession générale, on ne lui en donnerait guère. Car il s’avoue coupable d’avoir abandonné le parti de l’Appel, qu’il prétend être le parti de la vérité, non par surprise et pour s’être laissé tromper ; mais contre ses lumières et malgré les reproches de sa conscience, précisément pour se faire évêque d’avoir violemment persécuté ceux qu’il regardait comme les défenseurs de la vérité, d’avoir condamné les avocats qui avaient pris la défense de M. de Senez, dont il connaissait la vertu, l’innocence et l’intégrité de la foi. On ne voit point dans son mandement que depuis qu’il est sorti de l’Oratoire pour suivre les vues d’ambition auxquelles il s’était livré, il ait été dans une sorte de bonne foi qui puisse excuser les excès qu’il se reproche comme autant de meurtres contre les partisans de l’Appel.
La marquise. - Mais quel acte plus héroïque de religion que cette confession, la même jointe à la pénitence que M. de Saint-Paoul s’impose. Il se condamne lui-même. A quoi ? A se démettre de l’épiscopat et à passer le reste de ses jours dans l’obscurité, dans les larmes et les rigueurs de la pénitence. Quelle force, quel fonds de piété ne découvre-t-on pas dans une résolution pareille ?
Le chevalier. - Quant aux larmes et aux rigueurs de la pénitence auxquelles le prélat dit qu’il se condamne, il ne fera après tout sur cela que ce qu’il jugera à propos. Nous n’irons pas voir dans sa retraite ce qu’il pourra s’accorder de soulagements, de commodités, de douceurs, et les hôtes qu’il choisira ne seront point de caractère à nous en instruire.
La marquise. - Et où est la charité, Monsieur ? Sur quoi fondé, faites-vous de ce prélat un hypocrite ?
Le chevalier. - Le voici. C’est qu’un homme qui, de son aveu, s’est contrefait en matière de religion, pourrait bien se contrefaire en matière de pénitence ; d’autant plus que l’un est bien plus criminel que l’autre. Après un tel aveu de la part de M. de Saint-Papoul, on peut sans témérité ne pas compter absolument sur les larmes qu’il se propose de répandre et sur les rigueurs qu’il prétend exercer sur lui-même.
Sommes-nous, Madame, obligés de le croire plus sincère dans la résolution qu’il montre de s’ensevelir dans la retraite et de vivre dans l’oubli des hommes ? Ne peut-il pas s’être mis dans la tête qu’il va jouer un grand rôle dans un parti accrédité ? Que ce parti le mettra au nombre de ses héros et de ses plus illustres défenseurs ; qu’on ira le révérer dans sa retraite comme un modèle d’humilité et de pénitence ; qu’on l’y consultera comme un saint à révélations et que ses réponses signées Jean-Charles, caché en pénitence pour J.-C, seront précisément encadrées et placées comme des reliques aux oratoires des dévots et dévotes du Parti ? Ainsi la même ambition qui a tiré M. de Saint-Papoul de Saint-Magloire pour le conduire à l’épiscopat, ou rien au fond ne le distingue pour jouer un personnage plus flatteur encore et plus proportionné à ses talents.
La marquise. - Qui l’empêcherait de jouer dans l’épiscopat le même rôle que M. de Montpellier y joue avec tant de gloire et de s’y distinguer comme lui ?
Le chevalier. - Voilà où je vous attendais, Madame, C’est qu’il n’en a pas le courage ; ce n’est pas force en lui de s’être démis de l’épiscopat, c’est faiblesse.
La marquise. - Où prenez-vous de si bizarres idées ?
Le chevalier. - J’ai pris elle-ci dans le mandement même du prélat.
La marquise. - Il y avoue que c’est par faiblesse qu’il quitte l’épiscopat ?
Le chevalier. - En termes exprès, comme vous allez voir. Longtemps, dit-il, nous avons cherché à nous faire illusion à nous-même sur la manière dont nous y sommes entré. Mais Dieu n’a pas permis que le faux repos dont nous jouissions ait toujours duré. Il cherchait, comme vous voyez, Madame, à se faire illusion pour se calmer dans son état, mais il ne pouvait y être vraiment tranquille ; les remords de sa conscience ne lui laissaient qu’un faux repos.
Il continue ainsi : Depuis deux ans Dieu nous parle, il nous presse, sa voix que rien ne peut étouffer, nous poursuit au dedans de nous-même. Le prélat oublie ici qu’il est janséniste en nous apprenant que depuis deux années entières il résiste à la grâce.
A peine, ajoute-t-il, les premiers rayons eurent-ils dessillé nos yeux que nous comprîmes combien nous étions redevables à la justice de Dieu. Pour y satisfaire, fallait-il rester dans le rang éminent où notre témérité nous a placé ? Fallait-il en descendre ? La voix de notre conscience nous criait de prendre ce dernier parti.
La marquise. - Vous voyez que c’est pour suivre les mouvements de sa conscience, et non par faiblesse qu’il a quitté l’épiscopat.
Le chevalier. - Écoutons-le jusqu’au bout. Avant que de nous y résoudre (à quitter sa place) nous consultâmes des personnes sages et éclairées ; nous leur exposâmes notre état. Nous ne cachâmes rien de ce qui nous parut nécessaire pour qu’ils pussent prononcer. Il consulta en effet M. de Senez et M. de Montpellier, dont il rapporte l’avis, que voici : Touchés des maux de l’Eglise et du besoin qu’elle a de pasteurs, ils nous conseillèrent de rester avec vous, M.T.C.F, et de réparer par des démarches contraires toutes celles que nous nous reprochons.
Posez les principes des deux prélats, rien de plus sage que leur avis. Vous devez réparer le mal que vous avez fait. Vous avez abusé de l’autorité de votre place pour combattre l’Appel, il faut maintenant en faire un légitime usage en combattant la Constitution. Mais pour suivre ce conseil, il fallait de la force, et M. de Saint-Papoul n’en trouvait pas en lui. Dieu, dit-il, qui nous mettait dans le cœur de suivre exactement les règles et les canons de l’Église, ne nous donnait de force que pour nous y soumettre.
La marquise. - Comment voulez-vous qu’il eût de la force, si Dieu ne lui en donnait pas ?
Le chevalier. - Vous tâchez en vain, Madame, de m’échapper. Ce que j’ai à vous montrer ici, n’est pas que M. de Saint-Papoul ait été coupable en manquant de force pour demeurer dans l’épiscopat, mais qu’il en a manqué en effet, et qu’il n’y a renoncé que par faiblesse. Écoutez l’aveu précis qu’il en fait.
Par déférence pour ceux que nous avons consultés, nous avons essayé de mettre en pratique leurs avis, et toujours inutilement. Combien de fois nous sommes-nous reproché notre faiblesse.
La marquise. - Il se reprochait donc au moins sa faiblesse et la condamnait.
Le chevalier. - Je n’ai pas dit, Madame, que M. de Saint-Papoul eût approuvé sa faiblesse, telle qu’il nous la décrit lui-même. Elle était trop honteuse pour qu’il ne s’en fît pas des reproches. Mais il est toujours vrai que par faiblesse il prononçait de bouche ce que son cœur démentait continuellement ; qu’il se disait soumis à la Constitution, tandis qu’il la détestait dans le cœur, et que c’est cette faiblesse qui lui a fait enfin quitter l’épiscopat.
Enfin, nous dit-il, nous nous sommes déterminés à renoncer à notre siège ; et dès ce moment nous avons recouvré la paix. C’est-à-dire que n’ayant pas assez de courage pour soutenir avec honneur le combat contre la Constitution, comme le voulaient ses deux braves confrères, et que sa place le demandait, il l’a quittée, et que par là, loin du combat et hors des coups, il a trouvé la paix qui était incompatible avec les reproches qu’il se faisait sur sa faiblesse.
La marquise. - Il est pourtant vrai que vous autres, constitutionnaires, il n’y a encore que deux mois vous regardiez M de Saint-Papoul comme un grand évêque.
Le chevalier. - Comme un grand évêque, non, Madame.
La marquise. - Vous le regardiez au moins comme un saint, et aujourd’hui ce n’a été, selon vous, qu’un hypocrite qui trahissait la vérité et sacrifiait sa religion à sa fortune.
Le chevalier. – Dites, selon lui-même, ou plutôt selon son mandement. Car, à vous parler franchement, je ne le crois pas à beaucoup près tel qu’il y est représenté ; ce n’est qu’un personnage que le parti lui fait jouer pour pouvoir dire à cette occasion dans le public : Voilà ce que c’est que les évêques constitutionnaires. Ils adhèrent à la Constitution pour devenir évêques ; et quand ils le sont devenus, ils la soutiennent par engagement contre leurs propres lumières. Ils n’ont pas assez de courage pour se déclarer hautement en faveur de la vérité, comme un M. de Montpellier, un M. d’Auxerre, ni assez de crainte de Dieu pour quitter à l’exemple de M. de Saint-Papoul une place où ils se damnent par leur faiblesse.
Vos Messieurs ont ainsi sacrifié le pauvre M. de Ségur à l’intérêt de leur cause. Cela s’appelle faire flèche de tout bois. Car à qui feront-ils croire que le corps des évêques est composé d’hommes sans foi et sans religion, quand il serait vrai que M. de Saint-Papoul eût été tel ? Jamais il ne fut tel en effet. Ce ne fut simplement qu’un homme propre à être séduit par des gens souples et artificieux. Le bon prélat n’a certainement ni fait le mandement qu’on lui a donné à souscrire, ni fait à beaucoup près le mal dont il s’accuse.
La marquise. - Il faut, Monsieur, vous parler ici à cœur ouvert. Je le pense tout comme vous, et je ne vous ai agacé sur le mandement que pour avoir le plaisir de vous en avoir fait l’anatomie. Vous êtes sans doute étonné de me voir tenir ce langage ?
Le chevalier. - Nullement, Madame. Je ne vous ai jamais vue échauffée en faveur du Parti, comme la plupart des dames que nous connaissons vous et moi, et avec qui il n’est pas possible de parler raison lorsqu’il s’agit de ces matières. Ainsi j’ai toujours espéré votre changement. Mais pourrai-je en savoir l’époque ? Si cependant elle était ancienne, je serais un peu fâché que vous vous fussiez cachée à moi si longtemps.
La marquise. - Elle est ancienne et nouvelle. Ancienne, en ce que je commençai à me dégoûter du Parti dès l’ouverture des scènes de Saint-Médard. Nouvelle, en ce que je n’ai été pleinement décidé sur son compte que par le fanatisme bien manifesté de l’œuvre des convulsions.
Clairambault, F.Fr.12705, p.361-74 - F.Fr.13661, f°235r-248v -F.Fr.15147, p.198-230 - F.Fr.15231, f°163r-169r
Dialogue à propos de la démission de M. de Saint-Papoul. On tombe d’accord pour dire que c’est l’oeuvre d’un lâche et d’un hypocrite.