Aller au contenu principal

Sans titre

On entend parler tous les jours des jansénistes et des molinistes ; on prend parti pour les uns et pour les autres, et il me paraît qu’on ne les connaît guère. J’ai vécu assez longtemps avec les uns et les autres pour les connaître d’une manière intime et voici ce que j’ai remarqué.

Le nom de jansénistes qu’on leur donne, ne vient point de ce qu’ils défendent la doctrine des cinq propositions qu’on attribue au célèbre Jansen, évêque d’Ypres, où sa mémoire et son tombeau sont encore en vénération. Il n’y a pas un de ces prétendus jansénistes qui ne signât de son sang la condamnation des cinq  propositions dans le sens où elles ont été condamnées par les pontifes de Rome. Qu’ont-ils donc fait pour mériter ce nom de secte ? Persuadés des sentiments de l’illustre évêque dont j’ai parlé et expliquant ces propositions fameuses par ses écrits, ils ont pris la défense de ce prélat et soutenu avec autant d’érudition que de fermeté que le mauvais sens qu’on donnait à ces propositions n’était pas celui de cet écrivain. Ainsi, défenseurs d’un illustre persécuté qui, étant mort, ne pouvait plus expliquer ses véritables pensées, on leur a donné son nom qui, par ce moyen, s’est immortalisé. Quant à leur doctrine, c’est la même que celle de saint Augustin sur les matières de la grâce ; ils suivent ce Père pied à pied et font profession de penser comme lui sur ces matières épineuses. Leurs mœurs sont généralement toutes évangéliques, l’amour du prochain, l’instruction des ignorants, la patience dans les persécutions, le pardon des injures, beaucoup de douceur, autant de fermeté à défendre la vérité ou plutôt ce qu’ils croient être la vérité. Voilà à quelles marques on reconnaît ce qu’on appelle un janséniste.

Leurs persécuteurs, ou si l’on veut seulement leurs antagonistes, sont connus sous le nom de molinistes, qui leur vient de ce qu’ayant à leur tête et pour premiers arcs-boutants les membres lettrés de la Société de saint Ignace, on a pris la partie pour le tout, car on ne pas dire avec vérité que tous les antagonistes des prétendus jansénistes soient dans les sentiments de Molina et qu’ils enseignent la doctrine relâchée et peu chrétienne de ce docteur des écoles jésuitiques. Mais ce en quoi ils conviennent avec eux, c’est un odieux relâchement dans la conduite, l’esprit de domination et de persécution, l’amour de leur intérêt propre sur lequel ils règlent leurs sentiments sur la  vérité ou la fausseté des différentes propositions sur lesquelles ils ont à se déclarer. Les variations dont plusieurs prélats et autres ecclésiastiques ont donné des exemples honteux depuis la mort de Louis XIV, où ils ont eu tantôt le dessous, tantôt le dessus, en est une preuve et l’on a toujours vu dans les circonstances de crise vingt molinistes contre un janséniste sur la liste des bénéfices et cinquante jansénistes contre un moliniste sur celle des exilés.

Numéro
£0246


Année
1721 octobre




Références

Courrier politique et galant, 16 octobre 1721