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Histoire du prince Papirius, surnommé Pilleargent

Histoire du prince Papirius, surnommé Pilleargent, gouverneur des îles des Franchaux. 

 

Chapitre 1er

Comme quoy le prince Papirius fit la patte de velours aux druides pour être nommé gouverneur des îles des Franchaux et leur fit entendre par beaux semblants qu'il voulait qu'on lui rogna les griffes pour l'empêcher de prendre et de faire du mal1 .

 

Chapitre 2

Comme quoy le prince Papirius entra dans l'île pour gouverner, et à son entrée fit belle mine aux Franchaux, prenant la consultation des druides qui lui firent entendre que plusieurs harpies du temps passé avaient mangé tout ce qu'il y avait de bon dans l'île2 .

 

Chapitre 3

Comment fut tant procédé que lesdites harpies furent pourchassées. Mais leurs plumes furent mises dans les poches de plusieurs putes et maquereaux dont se servait souvent le prince Papirius pour s'ébandir si bien que toute la chevance s'en vint à rien du tout, ains au contraire en arriva pis qu'auparavant3 .

 

Chapitre 4

Où le lecteur verra le prince Papirius prendre ses ébats avec gentes donzelles, jurer et outrecuider les druides, disant qu'il ne voulait messuy se servir d'eux, mais qu'il monterait son cheval écossais qui porterait tout son conseil.

 

Chapitre 5

Comme quoy le prince Papirius se gouvernait comme il l'entendait, et n'en voulait faire qu'à sa guise, prenant tout l'argent des Franchaux pour faire accointance avec toutes sortes de gens, à dessein de gober un jour les États du petit prince Ascagne4

 

Chapitre 6

Comme quoy tous les alliés, barons et preux chevaliers du petit prince Ascagne mirent en soulas le gouverneur des Franchaux et faisaient plusieurs engins pour le chasser de ses îles, mais n'en vinrent à leur honneur par faute d'accord et furent par trahison grande les barons et druides envoyés bien loin. 

 

Chapitre 7

Où l'on verra le prince Papirius grandement courroucé contre le roi d'Ibérie5 qui lui mandait par bel écrit que son cheval n'était qu'une bête et qu'il aurait affaire à lui s'il touchait tant seulement du bout du doigt au petit prince d'Ascagne.

 

Chapitre 8

Comment le prince Papirius envoya sur le champ une grosse troupe de Franchaux et d'archers pour guerroyer le roi d'Ibérie et le mettre en déconfiture dont il en coûta maints soudards et maints écus aux Franchaux pour contenter tant seulement le prince Papirius6 .

 

Chapitre 9 

Comme quoy le prince Papirius reçut joyeusement dans les îles des Franchaux le fameux droguiste et grand charlatan Pilleavoine pour lui aider à piper et duper les Franchaux. Et faisait ledit Pilleavoine de biaux tours de souplesse et distribuait bien cher des boëtes de papier dans lesquelles il vantait y avoir bonnes drogues et remèdes suffisants pour bien boire, manger et dormir7 .

 

Chapitre 10

Comment, en ouvrant lesdites boîtes, n'y trouvait-on quelquefois rien du tout, et parfois dormait ledit charlatan à plusieurs putes, maquereaux, ribauds et flagorneurs du prince Papirius d'autres boëtes toutes pleines d'or massif, avec quoy lesdits ribauds faisaient moult bonne chère, achetant pierreries, vaisselle d'argent et grand nombre de biaux châteaux pendant que les Franchaux mangeaient poires d'angoisse en enrageant8 .

 

Chapitre 11

Où l'on verra la face de l'île des Franchaux se changer en papillon et papillotes, et tous les arbres de leurs manoirs, jardins et vergers ne porter aucun fruit et n'avoir plus qu'une simple écorce en forme de papier mâché, mangeant la plupart des Franchaux avides avec lesdites écorces9 .

 

Chapitre 12

Comme quoy le sénat entier des druides reconnut qu'ils étaient bridés comme des veaux et qu'ils étaient tombés sans y avoir pensé dans les pièges, entraves et machines endiablées, et alla trouver en corps le prince Papirius, lui faisant biaux sermons et harangues sur l'état des Franchaux. Mais s'en soucia peu le prince Papirius et leur fit pets et pétarades bien forts au nez, jurant par Dieu comme il faut, les renvoyant comme tricandailles10

 

Chapitre 13

Comme quoy le prince Papirius prit en amitié grande un certain grand nègre ayant mine et figure de Pluton11 , et lui donna une tant belle robe de satin cramoisi avec une cassette dans laquelle il y avait de quoy sceller et brider les Franchaux et donner nazardes et camouflets aux druides. 

 

Chapitre 14

Comme quoy ledit grand nègre vivait comme un hibou et chauve-souris, allant, venant et ne parlant que de nuit en chambre close et se retirait de jour quant et quant dans une autre où se trouvait certaine prêtresse non vestale dont il était féru, avec laquelle il prenait ainsi ses ébats sans qu'on le sçeut mie12 .

 

Chapitre 15

Comme quoy le prince Papirius et son charlatan Pilleavoine faisaient courir maint belles pancartes dans l'île principale des Franchaux et firent croire qu'on avait trouvé un tant beau pays où croissait l'or et l'argent, et qu'il ne manquait audit pays que d'être peuplé, ce que les Franchaux ne voulaient croire, ni moins encore les aller voir13

 

Chapitre 16

Comment ledit charlatan conseilla au prince Papirius d'empoigner hommes et garçons, et même femmes de bon aloi, pour les y envoyer de gré ou de force et furent aussitôt mandés bandits et satellites qui faisaient main basse sur les Franchaux, ce qui n'était pas chose trop belle à voir mais à la parfin fut occis grand nombre desdits bandits et satellites, et l'ayant ouï, le prince Papirius et son charlatan en furent tous transis de belle peur, mais pour tout point n'en devinrent pas meilleurs.

 

Chapitre 17

Comme quoy le prince Papirius envoya une troupe de Franchaux vêtus de bleu, les uns avec galons sur leurs poches et sur leurs manches, et les autres avec croix blanche devant et derrière, faisant le métier de pousseculs et mauvais garnements pour assiéger les pierres de taille du palais des druides14 .

 

Chapitre 18

Comme quoy ladite troupe des Franchaux commit plusieurs noises et vergognes dans le palais des druides, en faisant de leurs chambres et de leurs lits même un pot à pisser et autres ordures et vilaines déplaisantes à voir, dont advint au prince Papirius et auxdits pousseculs mauvais lot et renom de coyons, poltrons et lâches15 .

 

Chapitre 19

Comme quoy les druides suivant le désir du prince Papirius et de son charlatan Pilleavoine, couraient la prétentaine sur les bords de l'Oise et ne faisaient autre chose que s'ébaudir au lieu de tenir leurs pleds, sur quoy clameurs furent grandes parmi les Franchaux de voir manquer justice. Mais on n'osait rien dire au prince Papirius et allait ainsi comme devant16 .

 

Chapitre 20

Où l'on verra le camp charentonnais commandé pour faire plusieurs brides à veaux à tous les Franchaux et les tenir en échec selon le vouloir du prince Papirius. Mais en advint tout autrement car s'en moquèrent bravement tous les Franchaux et s'en allaient voir lesdits camps et s'en revenaient toujours riant et chantant, si bien que tel fracas ne servit que de risée et d'ébats17 .

 

Chapitre 21

Comment survinrent noises, querelles et grands débats entre le charlatan Pilleavoine et le grand nègre, s'accusant l'un l'autre d'avoir jeté poison et malencontre sur la drogue des Franchaux. Pour ce, se guerroyèrent et se donnèrent assaut et grands combats et à la parfin, le grand nègre fut déconfit et mis par terre, et lui et toute sa séquelle honnis et pourchassés18 .

 

Chapitre 22

Comment le charlatan Pilleavoine voulut distribuer d'autres drogues pas meilleures que devant et prit pour compagnon de cela le tartuffe Cancellarius afin de donner beau renom à ses boîtes de papier. Et faisait beau voir l'un et l'autre avec le prince Papirius donner pièce d'argent au bout d'un bâton, que les Franchaux attrapaient en l'air comme chiens barbets19 .

  • 1Le jour que le duc d'Orléans demanda au Parlement la Régence en 1715. Il fit un discours très persuasif que l'on peut voir.
  • 2Gens d'affaires.
  • 3Chambre de justice et taxes des gens d'affaires qui, loin d'être employées à acquitter les dettes du roi, furent données aux femmes et aux favoris du Régent.
  • 4Louis XV.
  • 5Le roi d'Espagne.
  • 6Guerre que l'on faisait au roi d'Espagne en 1719.
  • 7On entend parler de Law sous le nom de Pilleavoine à cause que le bail des fermes générales cédé à la compagnie des Indes avait été fait sous le nom de Pilleavoine.
  • 8Actions de la compagnie des Indes pour lesquelles Law donna d'abord beaucoup à gagner aux gens de la cour pour les assurer dans son parti.
  • 9Billets de banque et autres papiers.
  • 10Remontrances du Parlement faites au Régent.
  • 11M. d'Argenson, lieutenant de police, à qui le Régent donna les sceaux.
  • 12Il tenait dans les commencements le sceau à 10 et 11 heures du soir, et donnait des audiences à minuit et plus tard, passant tous les jours à la Madeleine de Tresnel, au faubourg saint-Antoine auprès de la Dlle de Villemont, prieure dont il était amoureux.
  • 13Mississipi.
  • 14Le dimanche 21 juillet 1720 le Régent envoya à la pointe du jour un détachement de mousquetaires et de gardes du corps pour se saisir du palais.
  • 15Les mousquetaires de garde pendant plusieurs jours y firent leurs ordures dans la grand'chambre.
  • 16Les officiers du Parlement eurent chacun une lettre de cachet le 21 juillet pour se rendre à Pontoise dans deux fois vingt-quatre heures.
  • 17Le Régent fit venir des troupes à Charenton, qui y campèrent trois semaines pour intimider les Parisiens.
  • 18Sur l'arrêt du 21 mai 1720 qui réduisit les billets de banque et les actions à moitié de perte, ce qui causa une si grande alarmes dans les esprits qu'on fut obligé de le révoquer trois jours après. M. d'Argenson et Law s'accusant l'un l'autre d'être auteurs de cet arrêt. Law l'ayant emporté sur M. d'Argenson, les sceaux lui furent ôtés le 7 juin 1720.
  • 19Law fit revenir M. le chancelier et alla lui-même en porter la nouvelle à Fresnes où il était relégué.

Numéro
£0101


Année
1720 août




Références

Clairambault, F.Fr. 12697, p.413-420 - Maurepas, F.Fr.12630, p.259-65 - Arsenal 2962, 93-104 - Arsenal 3231, p.537-547 - Rouen BM, MS 1106