Aller au contenu principal

Songe de M. Pâris

Songe de M. Pâris, conseiller au Parlement,

mort le 16 août 17391

M. Pâris, pendant sa dernière maladie, rêva qu’il voulait représenter une tragédie dans le petit cimetière de Saint-Médard. C’était la vie de Jésus-Christ. Mais à son réveil, il ne put se ressouvenir que de quelques traits et du nom des acteurs.

L’abbé Pâris, son frère, était chargé de représenter le Sauveur, et disait qu’il était venu pour arrêter la corruption des mœurs et de la morale. Mais qu’en vain faisait-il des miracles, que les ennemis de son Père ne le croiraient pas, que les princes des prêtres faisaient des persécutions et que les idolâtres ne quitteraient pas leurs administrations, quoique pour les convertir, il en reçut beaucoup dans sa compagnie.

Les curés de Sainte-Marguerite, Saint-Jean, Saint-Germain l’Auxerrois, Saint-Germain, le vieux Saint-Séverin, Saint-André-des-Arts et autres faisaient les bergers de la Nativité et chantaient les louanges du Sauveur.

Les évêques de Montpellier, de Troyes, Auxerre et Babylone faisaient les anges qui annoncent la venue du Messie.

M. Le Gros et deux autres ecclésiastiques réfugiés à Utrecht, faisaient les trois mages qui, après avoir adoré le Messie, s’en retournaient par un autre chemin.

M. Gaillande et l’évêque de Chartres faisaient le bœuf et l’âne de la crèche.

M. l’évêque de Senez représentait saint Simon et chantait Nunc dimittis.

Un cardinal furieux faisait Hérode et donnait ordre de faire périr les innocents pour tâcher de détruire celui qu’il craignait comme un obstacle à son règne et sa puissance.

Plusieurs docteurs appelants et exclus de Sorbonne admiraient la science du Messie, le voyant parmi eux à douze ans.

M. le Chancelier s’approchant du Sauveur est frappé de lui voir faire des miracles et surtout celui des cinq pains, mais néanmoins il le quitte aussitôt. Mme de la Fosse faisait l’hémoroïsse de l’Évangile. L’ancien évêque de Saint-Papoul représentait saint Mathieu et quittait sa banque pour suivre le Sauveur. Les évêques de Laon et de Lectoure faisaient à la guérison des possédés les cochons qui se précipitaient dans la mer.

Une troupe de Capucins faisaient les possédés. Les Jésuites, dans l’endroit de la tentation du Sauveur, disaient tout bas à l’oreille de tout le monde, et surtout des ecclésiastiques, leur montrant des richesses immenses et des couronnes : Si vous voulez nous adorer, voilà votre récompense.

Les trente docteurs de la Consultation, représentant les Pharisiens, disaient : Il fait des miracles de par Belzébuth.

Le curé de Saint-Sulpice, à la transfiguration, entendant parler de bâtir trente tabernacles, s’offrit d’en être l’architecte et courut chercher la mère du Messie afin de solliciter pour lui en faveur de l’habit d’argent qu’il lui avait donné, mais elle lui répondit qu’il ne lui en coûtait rien, et qu’elle n’était vêtue que de vieux morceaux qu’il avait attrapés de côté et d’autre.

Parquet, curé de Saint-Nicolas-des-Champs, demanda permission au Sauveur de régler les affaires d’une succession, le Sauveur lui répondit : Qui met la main à la charrue et regarde derrière lui, n’est pas digne de moi, et de plus quelle assurance me donneriez-vous de votre retour ? Vous êtes un esprit.

L’archevêque de Bourges faisait Nicodème et disait : Si c’est l’ouvrage des hommes, cela se détruira, mais si c’est l’ouvrage de Dieu, nous ne pouvons l’empêcher.

M. de Montgeron faisait l’aveugle-né et soutenait sa guérison, et dans une autre scène, il faisait Paul en disant : ce que je vous dis, je l’ai appris du Seigneur. L’évêque de Chalon-sur-Saône donne conseil aux juifs de faire mourir le Sauveur, disant : Il est expédient qu’un homme meure pour le peuple.

Dom La Taste faisait Judas dans la scène où il niait la trahison qu’il avait dans le cœur et donna le baiser au jardin des Olives.

Fantin, curé de Versailles, voyant Judas qui s’était pendu, escamota la bourse.

L’archevêque de Paris représentait Pilate et disait, se lavant les mains : Si j’y consens, ce n’est que par crainte de César, car je pense autrement que je n’agis.

L’archevêque de Sens s’intriguait pour chercher les faux témoins de la Passion, et donnait de l’argent aux soldats du Sépulcre pour dire que pendant qu’ils dormaient, ses disciples l’avaient enlevé.

Les évêques de Marseille, Blois, Langres, Toul, Soissons, Châlons-sur-Marne, Luçon, Carcassonne et autres faisaient les soldats de la Passion, et quoiqu’ils eussent été renversés par miracle, n’en tourmentaient pas moins le Sauveur.

Les archevêques de Reims, Lyon, Rouen et Toulouse criaient : Crucifiez, crucifiez !

Tencin, archevêque d’Embrun, faisait celui qui donne un soufflet au Sauveur, en disant : Est-ce ainsi que vous répondez au grand prêtre ?

M. Hérault mettait la couronne d’épine et flagellait le Sauveur, lui fouillant dans ses poches.

Lafiteau, évêque de Sisteron, fut celui qui cloua le Sauveur sur la croix.

Saint-Albin, archevêque de Cambrai, présenta l’éponge de fiel et de vinaigre, puis sur la fin revint encore sur la scène avec le feu cardinal de Bissy et l’archevêque de Sens pour lui casser les jambes, mais le trouvant mort, ils se dirent l’un à l’autre : Ce n’est pas notre faute ; soyons contents, nous avons assez montré que nous ne voulons pas de son amour, nous le laissons à ses disciples.

L’abbé Chaulin faisait le rôle du bon larron.

Nigon de Berty, le promoteur, le méchant larron et disait des imprécations.

L’archevêque de Vienne jouait aux dés et tira au sort la robe du Seigneur.

Mme de Ventadour à la résurrection faisait la sainte Madeleine.

Mme la Duchesse du Maine, sainte Marthe d’un air empressé.

La Reine faisait la Sainte Vierge, et pleurait ne pouvant mieux faire.

Et moi, dit M. Pâris, j’étais habillé de blanc et destiné pour faire l’ange à la résurrection, mais je m’éveillai en sursaut

Ainsi finit le rêve.

  • 1Cette pièce ne fait que de paraître ce mois de mars 1739 (M.).

Numéro
£0262


Année
1739 mars




Références

Gastelier, IV,1, p.215-16