Extrait de la Gazette de Danemark, du mois de janvier 1771
Extrait de la Gazette de Danemark, du mois de janvier 1771
Sa Majesté fit partir au mois de novembre dernier son ambassadeur pour la cour de France avec trente chevaux d’élite, en reconnaissance de l’accueil gracieux qu’il a reçu de Sa Majesté Très-Chrétienne. M. l’ambassadeur est arrivé à Paris sans aucun accident, et ayant demandé à parler au premier écuyer pour lui remettre les chevaux qu’il avait en sa garde, on lui dit qu’il était mort et que sa place était vacante. Il a cru devoir s’adresser au ministre des Affaires étrangères ; on lui dit qu’il était exilé dans sa terre et n’était pas remplacé ; il a voulu s’adresser au ministre de la Guerre ; on lui a dit que cette place étai dans le même cas. Il avait été en correspondance avec celui de la Marine ; il a appris qu’il était exilé et non remplacé. Il a voulu s’adresser aux magistrats de la grande police ; on lui a dit qu’il n’en restait pas un seul à Paris, tout étant dispersé dans le royaume à cause de leurs fonctions. Ayant appris que c’était le chancelier qui était cause de cette inaction, il a voulu le voir ; on lui a dit qu’il était malade. Il a formé le projet de s’adresser à un prince du sang affable et gracieux ; on lui a indiqué le Duc de Chartres, mais il courait si rapidement sur des traîneaux qu’à peine pouvait-on le voir passer. Notre ambassadeur, désespérant de pouvoir obtenir audience, s’est déterminé à revenir en Danemark ; il lui fallait un passeport en qualité de simple particulier. On lui a dit qu’il n’y avait plus de lieutenant des postes. Il avait dépensé son argent comptant à nourrir les chevaux et les gens de sa suite ; il ne lui restait plus que des ordonnances sur le trésor royal. Il a envoyé pour recevoir ; on lui a répondu qu’il n’y avait point de fonds. Il a voulu recourir aux emprunts, mais le défaut de confiance est devenu si général qu’il ne put découvrir que des prêteurs sur gage. Le chagrin s’est emparé de lui ; il est tombé malade ; il a voulu envoyer chercher le médecin du roi ; on lui a dit qu’il n’y en avait pas encore de nommé. Son sort lui ayant fait faire de sérieuses réflexions sur les différentes religions, il a voulu envoyer chercher un prêtre pour se faire instruire dans la religion catholique. Ce prêtre ne put ni l’entendre, ni le confesser parce que M. l’archevêque l’avait interdit de ses fonctions. Il a envoyé chercher le confesseur de l’archevêque ; on lui a dit qu’il était à la Bastille.
Comme il est mort dans la religion protestante, on lui a refusé la sépulture ; il est actuellement question de savoir le transporter en Danemark pour lui rendre les derniers services, mais l’inondation, suivie des neiges et des glaces ont rendu les chemins impraticables. On croit que quelques chirurgiens de Saint-Cosme, pour s’instruire dans les principes de la philosophie, se sont proposés de l’embaumer lors du dégel. Il s’est élevé une contestation sur les chevaux qu’on a mis en fourrière, mais elle ne pourra pas être décidée, parce que les procureurs ne vont plus au Châtelet.
F.Fr.15141, p.216-20