Caractère ou portrait de Louis XV
Caractère ou portrait de Louis XV
C’est un caractère uniforme qui ne s’est jamais démenti. On entre avec peine dans ses faveurs ; mais il n’y a qu’à être sûr de soi-même pour être assuré de lui. La seule faute qu’il ne pardonne jamais c’est d’avoir abusé de sa confiance. Quand on l’a perdue, on la retrouve difficilement. Il a la même méthode dans ses amours et ne se raccommode point avec ses maîtresses. Ce qu’il y a de bien surprenant, c’est qu’il les sacrifie quelquefois aux intérêts de son peuple. Dans le choix qu’il en fait, son cœur n’y entre pour rien, et quoique la marchandise soit par elle-même un peu critique, il les reçoit d’une main étrangère sans beaucoup d’examen. Son esprit y gagne toujours plus que ses yeux parce qu’il a plus d’égard à l’esprit qu’à la beauté. Il se conduit de même avec ses ministres. Le flegme domine en lui. Il est vis-à-vis de toutes choses d’un sang-froid merveilleux. Il estime souvent et n’admire jamais. Cependant, quoiqu’il semble regarder du même œil et le bien et le mal, son cœur ne connaît que le premier ; ainsi il est ennemi des choses d’éclat, et comme les passions bruyantes n’entrent point dans son caractère, il ne va jamais bien loin, ni dans l’amour, ni dans la haine ; il ne paraît empressé pour rien. Il punit le vice et couronne la vertu d’une main également indifférente. Tous les grands secrets sur lesquels le système de l’Europe est appuyé, est dans son cœur comme dans un puits sans fond où l’amour ni les ministres n’ont jamais pu rien découvrir.
Maurepas, F.Fr.12650, p.147-45 - F.Fr.13659, p.127