Aller au contenu principal

Cantique sur les jésuites

Cantique sur les jésuites

Ces pères cherchent toujours les villes où toutes sortes de commodités se trouvent en abondance. Ils cherchent les villes qui peuvent leur procurer de belles maisons, de bon vin, de bon pain, de beau linge et habits propres à toutes les saisons.

Leur nourriture ordinaire, ce sont des dindons, des chapons, des esturgeons, des levraults et des paons.

Leur cuisine est toujours pleine de la meilleure viande, le bœuf leur paraît trop grossier, le veau trop indigeste ; le mouton seul est de leur goût.

Partout vous les voyez faire la cour aux premiers de la ville ; jamais ils n’ont donné le droit de l’hospitalité aux pauvres étrangers. Ils ne vont point à matines.

Ils vivent ensemble gaiement et tous les jours, qu’ils ont voulu être jours de fêtes, sont fêtes pour eux.

Ils examinent tout le monde et vous les voyez s’informer avec avidité de ce que les uns font et quel est le parti des autres.

Confesseurs curieux, prédicateurs emphatiques, docteurs fastueux.

Avides d’argent, l’argent fait toute leur inquiétude ; ils ne songent qu’à s’agrandir ; admirateurs infatués d’eux-mêmes, pleins de mépris pour les autres, censeurs sévères pour tout le monde.

Des jeunes gens qui sont soumis à leurs domination, ils gagnent les uns par leurs caresses et exercent sur les autres mille cruautés.

Ils n’aiment que ceux qui sont distingués par leur noblesse, par leur beauté, par leur richesse et par leur esprit.

Ils destinent les uns à passer leur vie parmi eux ; ils traitent les autres comme de vrais bourreaux.

Y a-t-il quelque apparence d’une succession prochaine ? cette avide Société n’est point maîtresse de la joie, et celui-là seul qui leur laisse quelque chose en est préconisé.

Quelqu’un est-il infatué d’eux ? vous les voyez obséder son lit. Ce ne sont point des anges, ce sont des démons qui rôdent pour dévorer leur proie

On ne doit point espérer de salut ou craindre de damnation qu’à proportion qu’on leur donne beaucoup ou peu.

Ils sont toujours sûrs d’être institués héritiers légataires ou du moins de trouver une substitution en leur faveur.

Car ils ont toujours en main, lorsqu’i s’agit d’augmenter leur Société, quelque motif de religion pour fasciner les yeux de ceux qui leur donnent.

Fausse sainteté, artifice profane, en prêchant la charité, ils trouvent le damnable moyen de frustrer des héritiers légitimes.

Ils sont hardis à demander, prompts à prendre, habiles à succéder.

Ils savent accommoder à la morale chrétienne mille tromperies délicates pour s’attirer le bien d’autrui.

Homme chrétien qui meurt, disent-ils à un agonisant, confesse-toi bien, obtiens le pardon de tes péchés et si tu veux de faveur, donne-nous quelque chose ; aie pitié de nous.

Tu vois que nous n’avons rien ; donne-nous ces biens dont tu ne peux faire aucun usage ; tu le recouvreras au centuple.

Si quelque pénitent séduit leur fait des donations, ils lui disent recommencez souvent, ne parlez point de ce que vous avez fait pour nous ; vos péchés sont effacés, allez en paix.

Ces habiles mendiants prennent la forme de gens qui n’ont rien, et possèdent toutes choses.

Ils brillent dans le clergé ; ils commandent dans le monde ; ils se font craindre à la cour.

Combien en voit-on parmi ces pères qui foulent aux pieds les choses spirituelles et ne s’attachent qu’aux temporelles.

Ils savent exciter la guerre, élever des troubles dans un royaume et les apaiser.

Il n’y a point d’affaires importantes et délicates qu’ils n’entreprennent. Créatures du Pape en apparence, ils lui cachent leurs intrigues. De quoi n’est point capable cette race de renards !

Les choses les plus ridicules, ils nous les font passer pour des oracles. Ils nous vantent leurs miracles, comme ceux de la primitive Église.

Ces religieux sont des fourbes pleins de vaine gloire, et des vindicatifs qui répandent partout l’esprit de sédition.

Se voient-ils recherchés par quelques grands dont ils connaissent les richesses, ce ne sont qu’empressements et qu’assiduités.

Est-il question de rendre service à des malheureux que l’injustice a dépouillés de leurs biens ? ils lui répondent durement : Nous avons d’autre affaires.

Ô mes Pères, ce ne sont poin là les préceptes de J.-C. Vous en avez pris le nom par prédilection. Pourquoi n’en avez-vous a embrassé la vie ? Ennemis des superbes, il a fui leur société, il a été le premier qui s’est fait un plaisir de passer sa vie parmi les pauvres et les malheureux.

Pour vous, vous les abhorrez ; vous ne faites la cour qu’aux rois, et pourquoi leur faites-vous la cour ? pour leur donner des lois à eux-mêmes.

Il a dit qu’il ne voulait pas qu’un apôtre inquiet se chargeât pour le lendemain de provisions ou d’argent.

Mais vous, quoique vous foudroyez en chaire l’amour des richesses, vous n’êtes occupés qu’à compter votre argent.

Vous faites parade de sainteté, mais d’une sainteté commode, qui ne vous empêche pas de posséder, ni des maisons de ville, ni des maisons de campagne, qui vous permet d’entrer dans des partis, et qui ne borne votre cupidité qu’à des richesses immenses.

Vous possédez des abbayes, des prieurés, vous devenez cardinaux. Que vous manque-t-il que d’être papes ?

Avec cette fastueuse ambition, vous savez accommoder le vœu de pauvreté avec les dehors de l’humilité.

Vous possédez les richesses des Vénitiens, l’orgueil des Espagnols, la tyrannie des Romains.

Humbles comme des saints, vous dominez comme des rois. Vous demandez grâce comme des criminels.

Vous gouvernez le spirituel, vous gouvernez le temporel, et vous gouvernez mal toutes choses.

Oh, mes frères, qui préférez votre salut à toutes choses, fuyez le commerce des jésuites. Ce sont des hypocrites et des brouillons.

Car la morale chrétienne a en horreur cette doctrine qu’elle regarde comme une doctrine fausse et intéressée.

                                                        Doncques

Vous qui êtes véritablement disciples de J.-C., donnez-vous de garde de vous mêler avec cette Société.

Numéro
£0456


Année
1715




Références

F.Fr.9351, f°83v-87r