Requête présentée par les entrepreneurs de l'Opéra
Requête présentée par les entrepreneurs de l’Opéra à Monseigneur le Duc de Gesvres,
au sujet de la canonisation de S. François de Régis, faite aux Jésuites de la rue Saint-Antoine
Monseigneur,
Supplient humblement les entrepreneurs de l’Académie royale de Musique, en vous remontrant que le nouveau spectacle des Révérends Pères Jésuites porte un dommage si notable aux intérêts des suppliants qu’il ne leur sera plus possible de remplir les conditions de leur traité, s’il ne plaît à Votre Grandeur d’imposer silence à cette troupe.
Les fonds considérables qu’elle emploie et qui la mettent en état d’offrir aux yeux des spectateurs les décorations les plus riches, la faculté qu’elle a de les offrir sous le voile spécieux de la religion, en les enveloppant de sujets imaginaires, dont les pièces qu’elle représente sont tirées, le triple salaire enfin qu’elle paie aux musiciens qui la servent, sont des moyens sûrs pour attirer de son côté les fainéants, les curieux et les fanatiques de cette grande ville et rendre déserts tous les autres spectacles.
D’ailleurs cette affectation d’annoncer les premiers acteurs, d’afficher l’amphithéâtre à six sols et de donner le parterre gratis, ne sert pas moins à faire voir le tort qu’en reçoivent les suppliants, qu’à manifester le manège, les intrigues, les souplesses et l’ambition de cette rivale altière contre le spectacle de l’Opéra et le Concert spirituel que nous avions si bien établis.
C’est donc pour en arrêter les progrès injustes qu’ils sont obligés d’avoir recours à vous, Monseigneur, dans la confiance que Votre Grandeur, faisant droit sur leur requête et pour les causes y mentionnées, voudra bien faire défenses et expresses inhibitions auxdits Révérends Pères de plus à l’avenir s’immiscer de donner ainsi de nouvelles scènes au public, leur enjoignant de fermer incessamment leur salle de la rue Saint-Antoine et de s’en tenir à leur théâtre de la rue Saint-Jacques.
Mais d’autant que ladite troupe, avant que de faire éclore cette nouvelle saillie de son génie indéfinissable, n’aura point oublié de l’autoriser du crédit des Grands de la Cour et qu’à l’abri de ces protections qu’elle a l’adresse de surprendre, elle ne manquera d’évoquer cette affaire au conseil privé et d’échapper par ce moyen à la justice de votre autorité, les suppliants se borneront donc à vous demander, Monseigneur, qu’il plaise à Votre Grandeur ordonner que lesdits Révérends Pères seront au moins tenus de corriger les contradictions de leur conduite dans ce nouveau genre de profession, quoi faisant, sera leur pièce actuellement mise au jour ou réimprimée ou refondue pour n’être pas conforme aux règles du théâtre, l’auteur en ayant excédé les libertés d’une manière choquante ; sera pareillement changé la décoration de leur salle, dans laquelle les Révérends Pères Jésuites, ayant paru suivre l’ordre corinthien, ont ridiculement fait l’ordre dorique en ornant les piliers de damas cramoisi et sera substitué aux lieu et place de leur pièce principale qui a pour titre : La vie de François de Régis, une autre de leurs pièces intitulée L’invention de Marie à la Coque.
À tous ces griefs, Votre Grandeur ayant égard et faisant sur toutes choses le droit qu’elle avisera bon être pour le soutien de l’ancien Opéra, les suppliants redoubleront leurs études pour vos plaisirs, Monseigneur, et leurs vœux pour la santé et prospérité de Votre Grandeur.
Clairambault, F.Fr.12708, p.293-95 - Maurepas, F.Fr.12635, p.158-60 - 1754, VI, 85-88 - F.Fr.13662, f°6r-7r - F.Fr.15149, p.326-33 - Arsenal 3133, p.413-415