Lettre de M. de Voltaire à M. l’archevêque de Paris, Beaumont
Lettre de M. de Voltaire à M. l’archevêque de Paris, Beaumont
Après les bruits que l’on fait courir sur votre compte, je ne puis m’imaginer que vous soyez aussi tranquille que l’on me le voudrait faire croire ici. On m’assure que vous aimez. Cela ne me surprend point ; un préléat est homme comme nous ; par conséquent il est sujet aux mêmes impressions de l’amour que nous. Mais ce qui m’afflige le plus pour vous, Monseigneur, c’est que l’on m’a certifié que, pendant les nuits que vous ne passez point avec Mlle de Moisan, vous teniez des conférences contraires aux maximes fondamentales du royaume de France et à l’autorité monarchique. On dit de plus, et le bruit en court dans Amsterdam, que vous avez formé, de concert avec les jésuites, l’exécrable projet de détrôner Louis XV. Si cela est, prenez bien garde à vous, vous n’êtes point en sûreté, Monseigneur ; il pourrait quelquefois se trouver un bon Français qui, pour venger la gloire de la patrie et défendre un Prince qu’il adore, voudrait porter sa main sur vous, et sans aucun respect pour l’oint du Seigneur, vous punir d’un forfait aussi grand que celui que vous méditez.
Louis fut en tout temps l’objet de notre amour.
Sa vertu, ses bienfaits et son noble courage
Éclatent encore chaque jour.
Appui de nos autels, il fait un digne usage
De ce pouvoir sacré qu’il a sur les humains.
C’est ce pouvoir, Beaumont, qui cause vos alarmes ;
L’orgueil, à vos sanglantes mains
De l’envie en ce jour a confié les armes.
Le sceptre a pour vous des appas.
Mais pour commander à la France,
Pour la soumettre à sa puissance
Il faut en être digne, et vous ne l’êtes pas.
Désistez-vous donc, Monseigneur, d’un dessein aussi funeste que criminel ; songez qu’un Dieu vous examine. Souvenez-vous que la Bulle n’est point l’ouvrage de sa toute-puissance, mais celui de l’orgueil, de l’intérêt et du mensonge. Ne ravagez donc plus l’Église ; laissez les familles tranquilles sur l’article des billets de confession, ou résolvez-vous à être puni aussi sévèrement que les crimes que vous commettez le méritent.
Je suis avec tout le respect et la soumission possible
Monseigneur,
De votre Grandeur
Le très humble et très obéissant serviteur.
F.Fr.10479, f°170r-171r