Arrêt de Momus qui ordonne la suppression d’un libelle qui a pour titre Manifeste de Mlle Le Maure
Arrêt de Momus qui ordonne la suppression d’un libelle qui a pour titre Manifeste de Mlle Le Maure pour faire part au public de ses sentiments sur l’Opéra et des raisons qu’elle a de le quitter.
Cet arrêt sert de parodie à un arrêt du conseil du 2 avril 1735 qui ordonne la suppression du mandement de M. de Ségur, évêque de Saint-Papoul, du 26 février 1735
Momus s’étant fait répéter une nouvelle qui se répand depuis quelque jours au Palais-Royal, dans les cafés et autres lieux de sa dépendance, sur la démission de Mlle Le Maure, Sa Divinité aurait voulu d’abord douter de la vérité d’une action si extravagante pour cette fille et si affligeante pour l’Opéra ; mais après l’aveu qu’elle en fait en lui envoyant la démission de sa place, Sa Divinité ne peut plus s’empêcher de reconnaître que cette action est l’ouvrage d’une fille malheureusement trompée par des esprits artificieux qui ont abusé de sa confiance pour lui faire abandonner ce qui avait été jusqu’alors le plus cher objet de ses désirs ; que ceux qui l’enlevèrent ainsi au public ne le font que pour relever si possible les faibles espérances d’une rivale trop jalouse de ses succès ; ils ont cru ne pouvoir faire exécuter une variation si surprenante dans une fille de théâtre, qu’en l’engageant à faire elle-même une peinture odieuse de son entrée à l’Opéra ; ils lui font avouer que le libertinage seul et le sacrifice de sa conscience à sa fortune lui ont ouvert les portes de ce profane sanctuaire ; que, ne pouvant y étouffer entièrement ses remords, elle a cherché à les calmer, en faisant enrager le directeur de ce spectacle, et croyant s’affermir dans une place qu’elle appelle pernicieuse ; à mesure qu’elle prévariquait, elle attirait pas son mauvais exemple des prévaricateurs ; qu’à la vérité elle prétend expier une conduite si indigne de son caractère par le repentir qu’elle en témoigne, mais que la confession qu’elle a faite se termine à mettre au nombre de ses plus grandes fautes sa soumission à l’ordre de chanter au sortir de la prison ; que pendant qu’elle se prête ainsi à la séduction de ceux qui la conduisent, elle se défie tellement de sa faiblesse et de son inconstance que pour prévenir un retour qu’elle ne peut s’empêcher de craindre, elle prend la précaution singulière de renoncer à toute espérance de pouvoir jamais remonter sur la scène au cas qu’elle vînt à se repentir d’en être descendue. Telle est l’idée que donne d’elle-même une fille qui ne se reconnaît coupable que pour accuser le chef et les directeurs de n’avoir pas suivi les lois de l’équité en l’envoyant au Fort-L’Évesque ; qu’elle se croit elle-même au-dessus des lois, du public et de l’Opéra. L’union de ces puissances qui ont concouru à établir la nécessité de la règle des six mois, ne l’a pas empêché de chercher l’approbation de quelques docteurs et théologiens pour en éluder la disposition ; elle ne respecte pas davantage l’autorité qui a ordonné que les appels au parterre seraient regardés comme de nul effet, et punis comme séditieux, avec défense de les renouveler. C’est dans cet esprit, qu’après avoir employé tous les tours les plus captieux pour décrier les directeurs de l’Opéra, qui par déférence pour sa voix n’ont que trop excusé ses caprices, elle a consommé sa révolte en déclarant qu’elle se rétracte et se repend de tous les plaisirs qu’elle a faits au public, et de tous les profits quelle a procurés à ce spectacle, qu’elle adhère à l’appel qu’elle a fait au parterre à la première représentation de Jephté, ainsi que de l’emprisonnement tortionnaire et injurieux fait en conséquence et de toutes les autres démarches faites pour en sortir. Et comme un si grand scandale peut être d’autant plus dangereux que celle qui le donne est plus élevée en mérite et en talent, qu’on a cherché à le couvrir des apparences de la vertu pour faire plus d’impression sur des esprits faibles et malintentionnés, et que pareils exemples peuvent tirer à conséquence pour les autres spectacles où l’on ne voit que trop l’esprit de dépendance accroître de jour en jour par l’impunité. Sa Divinité manquerait à ce qu’elle doit au public et à elle-même si elle différait plus longtemps à maintenir et venger l’autorité de l’Opéra, la sienne et celle du public, également outragées par cet attentat.
A quoi étant nécessaire de pourvoir, Sa Divinité, après avoir consulté les mânes du grand Lully, a ordonné et ordonne que le manifeste de Mlle Le Maure pour faire part au public de ses sentiments sur l’Opéra et des raisons qu’elle a de le quitter, sera et demeurera supprimé, comme également funeste au public et à l’Opéra, contraire à ses intérêts et à ses plaisirs, attentatoire à son autorité, tendant à inspirer la révolte contre l’une et l’autre puissance, et à troubler les plaisir publics. Enjoint Sa Divinité à la Dlle Le Maure d’observer exactement la règle des six mois, dans l’espérance que, dans cet intervalle, elle reviendra à résipiscence, sauf après ce terme à être renvoyée si elle persiste dans son erreur, en un séjour où il n’y aura ni hommes pour la servir, ni oreilles pour l’entendre ; et afin de détruire les mauvais effets que pourrait produire un pareil exemple dans les autres spectacles, défendons à tous les acteurs et actrices de quelques conditions et qualités qu’ils soient, de demander leur congé en quelque cas que ce soit, sous peine d’être pris au mot, sans espérance d’aucun retour ni espoir de nous apaiser par les excuses les plus humbles et les larmes les plus soumises.
Donné en notre château de la Joie, le quantième qu’il vous plaira de la lune et qui bon vous semblera, et le présent sera scellé de notre sceau comique en cire gris de lin.
Signé Momus
Et plus bas Citron.
Maurepas, F.Fr.12633, p.435-39 - BHVP, MS 665, f°47r-48r
Réponse à £0319