Béatification de la bienheureuse Marie Alacoque.
Béatification de la bienheureuse Marie Alacoque.
Traduction du bref de Benoît XIII à Mgr Languet, évêque de Soissons, sur la vie de M.M. Alacoque
Au vénérable frère Jean-Joseph, évêque de Soissons, salut et bénédiction apostolique. Nous ne pouvons contenir la joie dont nos entrailles sont émues à la vue de vos glorieux travaux et de votre zèle pour la foi. Non content d’avoir combattu de toutes vos forces et avec une chaleur inouïe contre l’hérésie du jansénisme qui, semblable à un lierre, renaît sous diverses formes, vous vous appliquez maintenant à ranimer dans les cœurs un genre de dévotion qui semblait refroidi depuis longtemps, et cela par le venin mortel dont nous venons de parler ; car qui examinera attentivement l’esprit des jansénistes verra que leurs principes ne concernent pas seulement les points de théologie qui ont fait tant de bruit, mais qu’ils s’étendent à des choses de pratique, comme s’il eût eu plusieurs divers abus à réformer dans l’Église ; car tout prétexte d’en revenir à l’ancienne simplicité, on les voit traiter hardiment de subtilités scolastiques des opinions généralement reçues, d’abus populaires certaines pratiques approuvées par un grand nombre de papes et de saints, de fables puériles quantité de miracles qui sont autorisés et propres à nourrir la foi des simples, enfin de tyrannie et d’usurpation la juste autorité que les successeurs de saint Pierre s’attribuent, de décider les controverses en dernier ressort et de juger même les têtes couronnées. Et où en serions-nous si le Seigneur n’eût arrêté ces desseins pernicieux ? C’est la vue de ces desseins clairement découverts qui a dissipé les nuages de la prévention où nous étions en leur faveur avant notre élection au pontificat par rapport à leur doctrine efficace, laquelle, par un malheureux préjugé, nous paraissait n’être pas éloignée de celle de saint Augustin et du Docteur angélique. Mais autres sont les pensées des hommes, autres celles de Dieu. La divine assistance qui a conduit nos prédécesseurs en toute vérité a daigné aussi changer notre âme et nous a fait revêtir l’esprit du siège que nous occupons au lieu de notre propre esprit. C’est pourquoi, malgré notre faiblesse personnelle et contre l’attente publique, nous avons la force de rendre l’honneur qui est dû à la mémoire du très saint pape Grégoire VII, sans nous arrêter au scandale que le monde en pourrait prendre, quoique pourtant nous n’ayons pas laissé de consulter aussi les règles de la prudence. Car si vous y prenez garde, l’opportunité du temps s’est trouvée telle que depuis plus de deux siècles il ne s’en est point trouvé de semblable et que le silence que tout le monde a gardé là-dessus est une marque certaine que nous en sommes venus au point de n’avoir plus de ménagement à garder et de moissonner ce que nous avons semé. Ça été sans doute une guerre périlleuse et qui nous a fait gémir plus d’une fois que celle qui divise l’Église gallicane depuis plus de quatre-vingts ans. Toutefois elle a produit ce bien que les têtes plus remuantes d’entre les malintentionnés étant à bas avec le reste du parti intimidé, l’Église triomphe plus hautement que jamais. Si les matières contestées n’ont pas été éclaircies, elle ont servi du moins à faire une puissante diversion dans les esprits qui se sont usés et consommés en vain de ce côté-là pendant qu’ils nous laissaient en repos sur d’autres articles plus difficiles et que leur révolte nous donnait droit de les accabler par autorité sans entrer dans aucune discussion.
Il est arrivé de là que chacun craignant de s’embarquer dans une dispute qui a mal tourné pour tant de gens, aimant mieux ne rien examiner et renoncer à toutes les idées périlleuses ce qui est le vrai point où nous en voulons venir, et que l’on crie tant que l’on voudra que c’est ramener la barbarie des siècles passés. L’expérience fait voir que la philosophie et la critique si prisées en ce temps-ci, ne servent qu’à enfler l’âme et jeter des semences de rébellion contre l’Église. Combien se sont perdus par cette voie, et combien est préférable l’humble ignorance de ces siècles que l’on méprise au savoir dangereux dont on se pique dans le nôtre.
Ce qui se passe nous fait espérer que le bon vieux temps que l’on pouvait nommer à bon droit l’âge d’or du Saint-Siège renaîtra bientôt, et cela principalement par les soins d’une Société puissante qui emploie si heureusement ses lumières à étouffer celles d’autrui, et par là, outre l’esprit général de soumission et de docilité qui s’introduira, vous verrez chaque jour diminuer le nombre de ces défenseurs zélés des prétendues libertés de l’Église gallicane, qui a toujours été une pierre de scandale pour Rome et qui sont d’un mauvais exemple pour les autres pays, ce qui fait que nous n’avons jamais regardé cette Église du même œil que les autres, qui se montrent des filles plus obéissantes et qui sont pour ainsi dire plus à nous. C’est encore un grand sujet de joie que de voir votre nation, autrefois si fière, s’accoutumer tout doucement au joug salutaire de l’inquisition, n’y ayant plus que le nom de ce tribunal qui lui soit odieux, car en effet sous prétexte de veiller à ce qui se dit et ce qui s’imprime sur les matières du temps, on étend cette vigilance à tout ; et le bras séculier s’était joint à nos intentions, qui nous empêche de l’employer contre tous ceux qui nous feront ombrage de quelque manière que ce soit ? C’est pourquoi, bien que l’Église en général doive souhaiter la paix, il lui est avantageux pourtant, en certaine rencontre, d’être en guerre, parce que, non seulement elle parvient ainsi à humilier ses ennemis, mais encore à imprimer plus de terreur à ses propres sujets et à mieux établir son autorité absolue.
Quant au goût de dévotion que les jansénistes avaient répandu par un grand nombre de livres écrits en langue vulgaire, on ne saurait trop assez louer le zèle de nos bons serviteurs qui, pour faire tomber ces livres dans l’oubli, ont soin d’en substituer d’autres plus propres à entretenir les peuples et les rois dans l’état d’enfance qui leur convient par rapport aux choses de la foi. En particulier celui que vous venez de mettre au jour sera d’une utilité merveilleuse. Votre entreprise peut être même comparée à ce que nous avons fait touchant l’office de Grégoire VII, en ce que ce sont deux pièces également héroïques et qui produiront dans la suite un grand fruit, car si elles réussissent suivant nos vœux, quel acheminement ne sera-ce point pour faire revivre partout l’autorité pontificale et pour mettre la catholicité de la France sur le même pied que celle de delà les monts. Déjà Dieu nous a accordé la consolation de rendre générale en Italie la salutation angélique qui se fait à midi et au soir, et nous ne désespérons pas d’introduire encore un grand nombre de pieuses pratiques, comme aussi nous vous exhortons à le faire de votre côté. Si votre excellent ouvrage vous attire les railleries et les contradictions de certains esprits, parce qu’on est désaccoutumé parmi vous d’en voir de pareils, il faut souffrir patiemment cette humiliation comme étant un trait de conformité que vous avez avec la sainte dont vous faite l’éloge. On l’a souvent traitée de simple et d’hypocrite, et il n’y a point de honte de lui ressembler de ce côté-là. De tous les mérites que vous pourriez acquérir envers Dieu, en est-il de plus grand que celui de lui sacrifier votre réputation et votre esprit ? Ne vous rebutez pas et souvenez-vous qu’un homme qui aspire à de grandes choses ne doit point s’arrêter à de vaines clameurs. En allant toujours d’un train on demeure à la fin maître du champ de bataille. Les contradicteurs meurent ou se lassent de crier ; ce que vous avez avancé prendra racine ; vos amis prendront soin de l’appuyer, et avec le temps il se trouvera que la postérité ne verra plus que par vos yeux et par les leurs. C’est la grand maxime de cette cour qui l’emporte sans doute sur toutes les cours du monde par sa persévérance à conduire des entreprises. Si votre livre n’est pas goûté par votre pays natal, d’autres pays lui feront plus d’accueil et pour seconder vos intentions nous ne manquerons pas de béatifier incessamment la Vénérable Mère Marie-Marguerite Alacoque. Telle est la confiance que nous avons en vous que nous vous dispensons de fournir les preuves des faits avancés par vous dans sa Vie pour ne vous point causer d’embarras ; votre témoignage nous suffira et votre désir nous fait passer par-dessus les formalités ordinaires. Nous espérons qu’un ouvrage si édifiant ne sera pas le dernier qui sortira de votre plume, et que vous consacrerez le reste de vos jours à écrire des vies de saints dans le même style. Pour cet effet nous vous souhaitons une longue vie, prions le Seigneur et la Sainte Vierge qu’ils vous aient en leur sainte garde et de vous accorder leur protection spéciale. Donné dans notre palais de Saint-Pierre le 18 février 1731.
Clairambaullt, F.Fr.12701, p.433-440 - Maurepas, F.Fr.12632, p.467-74
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