Lettre du père du Prétendant à son fils
Lettre du père du Prétendant à son fils
Quelques soins que vous ayez pris, mon cher fils, de me cacher ce qui s’est passé entre la cour de France et vous depuis la signature des préliminaires, je suis cependant informé de tout, et je vous avoue que je n’ai pu lire sans une vraie surprise et douleur votre lettre au duc de Gesvres du six de ce mois ; ni vous ni personne ne peuvent avoir imaginé que vous pourriez rester en France malgré le Roi. Votre insistance donc à vous conformer à ses volontés à cette occasion ne saurait avoir pour objet de continuer à demeurer dans son royaume et lorsque vous parlez de regrets et d’être forcé par vos intérêts d’agir comme vous faites, vous montrez bien que ce n’est pas votre propre sentiment et volonté que vous suivez, mais bien ceux des autres. Dieu sait qui ils sont, mais peuvent-ils être véritablement de vos amis en vous donnant de pareils conseils, car il est manifeste qu’en résistant à cette occasion aux intentions de Sa Majesté Très Chrétienne, il ne saurait y avoir d’autre objet que de rompre avec le Roi et de vous attirer justement sa colère et son indignation, et certainement aucunes personnes sages et raisonnables, quelques ennemis de la France, si elles vous souhaitaient véritablement du bien ne pourront pas vous conseiller, surtout dans l’état où vous êtes, de rompre avec une puissance qui s’est fait respecter de toute l’Europe. Pour peu que vous songiez à ce qui s’est passé depuis quelques années, vous le sentirez bien que votre conduite n’a pas été telle qu’elle a dû être. Et vous savez aussi avec quelle patience et modération, je me suis conduit envers vous ; vous savez l’entière liberté que je vous ai donnée et que je n’ai pas laissé de vous écrire toutes les postes, quoique vous ne me fissiez que trop voir que ce n’était pas de moi que vous vouliez prendre conseil, et que c’est pourquoi, depuis quelque temps* je vous vois sur le bord du précipice et près d’y tomber eet je serais un père dénaturé si je ne faisais au moins le peu qui dépend de moi, et c’est pourquoi je me trouve moins obligé de vous ordonner comme votre père et votre roi de vous conformer sans délai aux intentions de Sa Majesté Très Chrétienne, en sortant de bon gré de ses Etats, nonobstant l’obscurité où vous me laissiez sur tout ce qui vous regarde. Je ne crains ni ne balance point de vous donner cet ordre parce qu’en effet je ne fais que commander à ce qui se ferait quand je ne le commanderais point. Je ne saurais me figurer le cas où il pourrait convenir même à vos intérêts de rompre ainsi avec la cour de France ; je me sers de mon autorité sur vous ; je ne vous prescris point le lieu où vous devez aller ; vous savez aussi bien que moi les pays où vous pouvez être en sûreté. Et puisque vous m’avez pas voulu recevoir une retraite en Suisse qu’on vous a offerte, je dois supposer que vous avez en vue quelque autre retraite pour le moins aussi à portée pour vos affaires et aussi agréable à vos compatriotes. Enfin, mon cher fils, songez sincèrement à ce que vous allez faire. Si vous résistez à mes ordres, et aux intentions de Sa Majesté Très Chétienne, je prévois qu’on vous fera faire ce que vous ne voulez pas faire de gré, et si on en vient à la violence naturellement on vous conduira en cette ville, ce qui sûrement ne sera ni de votre goût ni pour votre intérêt. Quel éclat ne sera-ce pas et qu'y gagnerez-vous? Rien certainement qu'un nom et un caractère qui vous feront peut-être perdre dans un instant toute la réputation que vous vous êtes déjà acquise, car une vertu et une valeur qui ne se montrent pas sages dans l'adversité ne sauraient jamais êre considérées comme véritables et solides. Jugez de la peine et de l'inquiétude où je serai jusqu'à ce que je sache l'effet qu'aura produit cette lettre. Elle est écrite par un père qui ne respire pour vous que tendresse et qui n'est uniquement occupé que de votre véritable bien et de votre véritable gloire. Je prie Dieu de vous bénir et de vous éclairer. Je vous embrasse de tout mon coeur.
Signé Roi Jacques
Clairambault, F.Fr.12718, p.407-12 - F.Fr.13658, p.157-71 - F.Fr.15151, p.369-78