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Requête de Mad. Quinault,

Requête de Mad. Quinault, calotine de la brigade des Vestales

à Mr. l’Évêque de Nantes pour obtenir les moyens de sa conversion


Monseigneur, vous voyez à vos genoux une nouvelle convertie d’une espèce singulière. Voici le fait.

Séduite par les discours flatteurs d’un jeune homme de la Cour, qui est de vos amis1 , je me livrais toute entière à ses désirs il y a deux ans2 . Jamais, si je l’ose dire, victime plus gentille ne fut offerte sur les autels de Cythère. Mais que le sacrificateur dont j’avais fait choix le méritait peu. En satisfaisant à ses désirs, il fit naître les miens. Je me promettais une ample moisson de plaisirs, et je ne trouvais que sécheresse et que stérilité. L’ingrat dissipait ailleurs le peu de patrimoine qu’il tenait du Dieu d’Amour. Il y a longtemps que ses mauvais services3 n’auraient déterminé à le renvoyer, si une subsistance honnête qu’il m’a procurée ne me retenait4 . Lassée enfin d’un pareil commerce, j’en veux effacer le souvenir par un retour sincère sur moi-même.

 

Seigneur le crime s’use ainsi que la vertu,

Mais en vain d’un remords on le voit combattu,

Si la brebis depuis longtemps perdue

Par le pasteur au bercail n’est rendue.

 

Monseigneur, en recevant mon abjuration, tendez-moi une main secourable, afin que le ciel me dédommage de ce que je perdrai en renvoyant celui qui me fait subsister. La Providence vous a donné les moyens de me secourir, en vous chargeant de la distribution des bien des économats.

 

Ordonnez qu’on me délivre

Tous les ans mille écus au moins

Pour subvenir à mes besoins,

Car la vertu ne fait pas vivre.

Et puis de vos conseils implorant le secours,

La grâce dans mon cœur aura son libre cours.

Cette somme est assez bornée,

Si vous comptez par chaque année

Ce que me valait le péché,

J’y perds moitié, je n’en puis rien rabattre.

Des filles de Vénus j’en connais plus de quatre,

Que vous seriez bien empêché

De sauver à si bon marché.

 

Je vous supplie, Monseigneur, de parler en ma faveur. Le prince qui nous gouverne a les oreilles tendres et complaisantes. Vous l’avouerai-je ? Il connaît l’ingrat, il sait les raisons que j’ai de me plaindre de lui.

 

 

 

  • 1Le duc de Chartres (Lyon 754) - le duc de Charost (F.Fr15016)
  • 2Excepté ce que le Marquis de M… en put dérober. (1725)
  • 3Chirac dans la maladie du Duc de Chartres eut ordre de lui demander s’il n’avait pas fait d’excès. Eh oui, répondit -elle, mais Mlle. de S… le sait mieux que moi. (1725)
  • 4Non par ce motif, mais à cause de cette lettre au retour de sa convalescence : « Comme ma santé et ma dignité ne permettent pas que je te voie davantage, voilà mille pistoles pour tes couches. » (Lyon, 754) - On l'invite à la Compassion par les faveurs de l'argent. Le pas est glissant quand il n'en coûte rien. (Institut 647)

Numéro
£0390


Année
1722




Références

Maurepas, F.Fr.12631, p.15-16 - 1725, I, 163-166 - 1726, 113-116 - 1732/1735, I, 163-165 - 1752, I, 163-165 - F.Fr.9352, f°40v-41v - F.Fr.15016, 213r-214v - F.Fr.20036, p.208-10 - F.Fr.25570, p.157-58 - BHVP, 663, f°46r-48v - Paris, Institut,  647, f°93 - Bordeaux, 700, 121r-124r - Grenoble 587, f°79 - Lille, 64, p.493-97 - Lyon BM, 52, f°96r-97r

 

 


Notes

Placet de N. fille d’un procureur de Rouen venue à Paris pour cause de son interdiction. A M. l’évêque de Nantes (Maurepas)