Testament de très infortunée et désolée princesse Constitution
Testament de très infortunée et désolée princesse Constitution,
fille adoptive de Clément XI et fille naturelle du père Jouvency, jésuite
Moi, Clémentine1 Constitution, née dans la compagnie de Jésus, le 8 jour de septembre 1713, engendrée de Jouvency, mon père naturel, lequel, après m’avoir emmailloté des langes de Cicéron, de Térence et d’autres auteurs de l’antiquité qui couvraient tous les défauts qui me rendaient odieuse à toute la postérité, me porta à Clément XI qui, m’ayant considérée ainsi déguisée, m’adopta pour sa fille et me fit voir ensuite aux cardinaux et théologiens de son conseil, et en même temps confidents des intrigues de Jouvency mon père pour élever Pélage sur les ruines saint Augustin, lesquels, ne m’ayant vue que dans l’obscurité de la nuit, conseillèrent au pape de m’envoyer en France le 8 de septembre 1713 sous la protection de Très Haut et Très Grand Prince Louis le Grand, qui ne reçut agréablement ; ne connaissant point mon origine et ayant pour moi un amour aveugle [il] m’envoya à Paris, villle capitale de son royaume, dans la compagnie de Jésus, pour y être élevée, dirigée et conduite par le père Le Tellier, son confesseur, sous la conduite des cardinaux de Bissy et de Rohan, lesquels par les grandes espérances dont ils s’étaient vainement flattés, entreprirent de me faire recevoir dans tous les diocèses de France ; mais le très précieux et très religieux cardinal de Noailles m’ayant démailloté et ayant vu tous mes défauts et toutes les imperfections dont j’étais pleine et couverte [mes ennemis ?] s’opposèrent rigoureusement à ma réception, avec une résolution si constante qu’on veut qu’elle ait été cause en partie de la mort du Roi, mon protecteur. Ce généreux prince avait prodigalement récompensé ceux de mon parti et aurait fait en ma faveur, s’il eût vécu, choses éclatants dont la mémoire aurait passé avec événement dans tous les siècles. Je n’eus pas plus tôt appris la mort de ce grand prince que je tombai dans une maladie mortelle. Aussitôt je fis faire consultation de médecins sur une maladie si soudaine et si désespérée. En même temps, les uns opinèrent qu’il me fallait envoyer dans mon pays, mais les autres, plus habiles, jugèrent que mes forces ne me permettraient pas de faire un si long voyage et dirent que je n’avais que peu d’heures à vivre. Me voyant ainsi désespérée, je crus que je devais sérieusement penser à faire mon testament et à déclarer mes dernières volontés ; mais parce qu’il faut pardonner à ses ennemis et à ses adversaires, je prie très humblement très Puissant Prince et Seigneur, Philippe de Bourbon, premier prince du sang, duc d’Orléans, régent du royaume, de récompenser, selon les pieuses intentions du feu Roi, mes partisans et de donner à mes adversaires quelque part dans l’honneur de son souvenir et de sa bienveillance.
Je désire qu’après ma mort mon cœur soit porté à Meaux, mes entrailles à Strasbourg, mon corps aux jésuites, rue Saint-Antoine, pour y être inhumée et ensevelie dans le tombeau de l’oubli, selon les usages et coutumes des lieux où on me prétendait envoyer et qu’auparavant il soit fait un service solennel où assisteront tous les archevêques et évêques, abbés et autres mes partisans. M. l’archevêque de Bordeaux officiera, MM. les cardinaux de Rohan et de Bissy seront les diacre et sous-diacre, M. le curé de Saint-Médéric fera l’oraison funèbre, les trois recteurs des trois maisons des jésuites porteront le cierge, le pain et le vin à l’offrande, M. Le Rouge, syndic de la faculté de théologie de Sorbonne sera le bedeau qui les conduira, et le père Tellier et le père Doucin seront les pleureurs.
Je désire que mes papiers, enseignements et autres pièces qui concernent ma mission, soient renvoyés au plus tôt à Rome.
Ayant à ma nomination plusieurs abbayes et prieurés,
Je donne au père Le Tellier, mon conducteur, et à ses associés le prieuré de Saint-Jean Baptiste de Bicêtre.
Au père Doucin, celui de Saint-Sauveur aux Petites-Maisons, tous deux du diocèse de Paris.
À M. Le Rouge, syndic, le prieuré de Saint-Leufvoy au grand Châtelet de Paris.
À M. le cardinal de Bissy, l’abbaye de Notre-Dame des Sept-Douleurs, à la place de Saint-Germain-des-Prés, avec le prieuré d’un prompt départ au diocèse de Meaux.
À M. le cardinal de Rohan, l’abbaye de Notre-Dame de la Pitié et le prieuré d’aller au diocèse de Strasbourg.
À M. le curé de Saint-Médéric, le prieuré de Sainte-Pélagie des Repenties.
À M. l’évêque de Laon, le prieuré de Vatan Vite à ton diocèse.
À M. Le Gendre, le prieuré de Cachez-vous au diocèse d’Orange.
À M. le Normand, le prieuré de la prison à Saint-Jean Climaque, diocèse d’Alexandrie.
À l’abbé Bochard, le prieuré des Bonnes Manoeuvres, diocèse de Clermont.
À M. de Tournély, le prieuré de Misère au diocèse de Coutances.
À M. Le Moine, chanoine de Saint-Benoît, l’abbaye de Saint-Jacques des Loges, au diocèse de Quimper-Corentin.
Distribution2
Du restant des abbayes faites par Son Altesse Royale, Monsieur le Régent, qui n’ont pu être distribuéss à cause de la mort subite de Dame Clémence Constitution.
Son Altesse Royale donne à M. le cardinal de Noailles l’abbaye de Bonne Délivrance, le prieuré de Sainte-Perpétue et de Sainte-Félicité,
A l’abbé d’Aguesseau celle de Saint-Bénissons Dieu,
Au père Quesnel celle de Bon Repos, diocèse de Paris,
A l’abbé Bidulle celle de Notre-Dame de Paix Directe,
A l’abbé de Braguelonne celle de Notre-Dame de Liesse,
A l’abbé de Louvois celle de Notre-Dame de Bonne Inspiration,
A l’abbé de Caumartin celle de Bonne-Espérance,
A M. Vilasse le prieuré des Bonshommes,
Au Père d’Albissy le prieuré de Saint-Bon,
Au Père Jérosme celui de Notre-Dame de Tranquillité,
A M. Petitpied celle de Notre-Dame de Revenez-vite,
A Dom Turquois le prieuré de Bonne Fortune,
Au Père Eustache Picpus, celui de Notre-Dames des Victoires,
A M. l’abbé Serveau l’abbaye de Notre-Dame des Gens, diocèse de Paris.
F.Fr.10475, f°141-42 - F.Fr.15143, p.33-41 - BHVP, MS 551, p.246-49 (variantes) - BHVP, MS 639, p. 34-44 - BHVP, MS 602, f°140r-156r -