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Rêve du Roi en 1769

Rêve du Roi en 1769

Ces jours passés, le Roi rêva qu’il voyait quatre chats ; le premier, un angola, très joyeux et très insolent ; le second, étique, n’ayant que la peau et les os, et prêt à expirer ; le troisième, noir, grondant et miaulant toujours ; le quatrième dormant d’un sommeil si profond que tout le bruit qu’il se faisait ne le réveillait pas.

Ce rêve parut si singulier à Sa Majesté, et si présent à sa mémoire qu’il voulut sur-le-champ en avoir l’explication selon la nécromancie. M. le duc de Noailles est un second Joseph dans cette partie, et s’entend aussi parfaitement à s’en tirer que Descartes de la géométrie. Le Roi l’envoya chercher sur-le-champ.

Le chat très gras et insolent, lui dit M. de Noailles, après s’être gratté le front, figure les financiers de votre royaume ; le chat maigre, votre peuple expirant de misère, sucé par les sangsues ; le chat grondant et miaulant toujours, vos parlements et leurs remontrances éternelles ; pour le chat dormant et qui ne s’éveille point, votre Conseil, Sire, qui dort et laisse les choses aller au pire sans s’en embarrasser.

 

Le Roi, étonné de la sagesse de M. de Noailles, lui dit : Eh bien, puisque vous saisissez avec autant de profondeur le mystère du présent et de l’avenir, apprenez-moi ce que signifie un autre rêve que j’ai fait la semaine passée et qui m’a fort agité et dont je n’ai pu me résoudre à parler – Voyons, a répondu le prophète, je dirai comme je pense, car rien au monde ne peut m’empêcher d’être vrai. – Le voici, continua le Roi, il fallait que je crusse être mort dans ce songe, car je cherchais le chemin du Ciel ; ne sachant quelle route tenir, je demandai à une jolie personne, à demi nue, couverte de grands et beaux cheveux, quelle route je devais prendre ; elle me le montra du bout du doigt, en m’apprenant qu’elle était sainte Magdeleine qu’on avait tant calomniée ; après avoir fait deux cents pas, je rencontrai un homme sans tête qui me demanda où j’allais ; ayant répondu : au paradis, il me dit d’une voix sépulcrale que j’y tournais le dos, et m’indiqua un autre chemin. Je le suivis, mais à peine prenais-je cette route que saint Louis se présenta devant moi et me fit la même question, ajoutant : qui a pu vous indiquer un chemin si opposé au lieu que vous cherchez ? Lui ayant répondu que c’était sainte Magdeleine et saint Denis, il s’écria : Ô mon fils, se peut-il que vous n’ayez pas senti qu’ils vous trompaient, et que tous les conseils venant d’une putain et d’un homme sans tête ne peuvent jamais mener qu’à la perdition.  Le Roi, ayant achevé son rêve, voyant que M. de Noailles se taisait, lui demanda ce qu’il signifiait. Saint Louis a prononcé, reprit le Duc, je suis de son sentiment.

Numéro
£0441


Année
1769




Références

F.Fr.15141, p.171-73