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Histoire du marquis de Rambures

Histoire du marquis de Rambures

La jeunesse de la cour entendait parler avec envie du règne de Henri III. Les plaisirs et la fortune des mignons sous ce prince faisaient vivement souhaiter aux jeunes seigneurs d’en ramener la mode. Les plus hardis se proposaient de remplacer Joyeuse et Epernon ; les plus modérés se bornaient à imiter Meyrin et Quelus ; tous enfin eussent voulu être menins et l’être à bon titre. Le seul obstacle qui s’opposait à leur désir était l pouvoir des femmes. Trois règnes consécutifs les avaient mises en possession de la faveur, et si de Luynes et Saint-Simon avaient paru balancer leur crédit sous Louis XIII, le long règne de Louis XIV avait affermi leur empire. Dans cette conjoncture nos jeunes seigneurs crurent qu’il fallait hasarder un coup d’État et que, sous un roi mineur et encore indécis, tout dépendait de déterminer son goût par un exemple signalé. Suivant ce principe on arrêta qu’il se ferait une partie éclatante.  On choisit pour en être les acteurs quelques seigneurs des plus distingués par leurs noms et leurs emplois. Le marquis d’Alincourt fut nommé pour être le premier champion. Sans doute on le mit à la tête de cette aventure parce que sa conduite passée donnait du soupçon de sa foi et qu’on voulait qu’il fût mis hors d’état de pouvoir changer de goût. Les autres assaillants furent le jeune duc de Boufflers, les marquis de Roye et de Meuse ; le tenant fut Rambures ; le lieu de la [ill.] fut la terrasse au-dessous de l’appartement de la maréchale de Boufflers. Quand on fut tous assemblés, d’Alincourt parut le premier au champ ; il fournit sa carrière avec éloge et Rambures fit de sa part merveilles. Après d’Alincourt, de Roye entra en lice, mais soit manque de force ou de ferveur, après quelques caracoles il fut désarçonné et ne put achever sa course. De Meuse ne fit pas mieux que de Roye, mais le jeune Boufflers, quoique le plus propre à être le tenant, fit merveille dans l’assaut ; il fournit deux courses ainsi que d’Alincourt, en sorte que Rambures eut à soutenir quatre assauts francs et deux tentatives. Quoi qu’il en soit, il demeura en champ près de deux heurés. Les combattants se retiraient en bon ordre de cette joute, bien résolus de ne s’en pas tenir à cette épreuve. On dit même qu’ils auraient arrêté, que peu à peu leurs tournois se feraient plus nombreux pour grossir imperceptiblement le parti et se mettre en état de lever la tête. Un accident imprévu déconcerta la sagesse de ces projets. La maréchale de Boufflers avait vu de sa fenêtre toute la manœuvre ; dès le lendemain elle fut en faire ses plaintes et exagéra la témérité de l’entreprise. Peut-être que ses clameurs n’eussent eu aucun effet si Rambures, paraissant avec un habit éclatant, n’eût dit que c’était son lendemain de noces. Ce bon mot fut envenimé par les Dames ; la brigue s’accrut contre nos réformateurs. Rambures fut transféré du lit nuptial à la Bastille ; Boufflers et d’Alincourt furent exilés ; pour Roye et Meuse on les regarda comme les parrains du tenant, et on se contenta de les envoyer à leurs régiments. Telle fut l’issue d’un projet dont les suites étaient de conséquence pour les Dames. L’affaire n’en fut pourtant pas assoupie. Les officiers de la manchette prennent parti pour les exilés ; ils sont en grand nombre et puissants. Pour les Dames, elles sont plus en fureur que jamais. Quant à moi, je tiens leur cause désespérée si l’on n’intimide les déserteurs, car après les avances qu’elles veulent bien faire, si les jeunes gens n’en sont pas touchés, elles n’auront de ressource que dans la violence. Nos jeunes réformateurs disent que c’est la faute des Dames et que s’il y eut plus de sûreté dans leur commerce, on eût pu s’accommoder avec elles. A l’égard des politiques, cette affaire leur paraît avoir trait au jansénisme et au molinisme, de sorte que, la regardant comme affaire d’État, ils attendent que le Roi, qui n’a pas encore décidé, prenne parti pour l’un ou pour l’autre.

Voilà, Monsieur, deux aventures bien singulières. Je ne sais si le parti des réformateurs fera fortune en province. Pour ici, on ne laisse pas d’être fort partagé ; pour moi, j’ai fait mes preuves, je me tiens au pied de l’arbre, je veux dire aux Dames. Mandez-moi votre sentiment, je vous instruirai des suites de l’aventure. Adieu.

Numéro
£0251


Année
1722




Références

Clairambault, F.Fr.12701, p.23-25


Notes

Suite de £0250