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Lettre de M. Piron à M. le maréchal de Saxe

Lettre de M. Piron à M. le maréchal de Saxe après la bataille de Rocoux donnée le 11 octobre 1746


Monseigneur,

Un jour, au foyer de la Comédie, au moment qu’on levait la toile sur mon compte, je me trouvai devant vous1  ; vous me souhaitâtes bonne chance ; je me recommandai de votre suffrage ; il vous plut en me le promettant d’avance, de me dire, hélas, de quoi peut vous servir le suffrage d’un étranger ? Je pris la liberté de vous répondre que les fils des Rois n’étaient étrangers nulle part. Hé bien, Monseigneur, avais-je raison ? Etes-vous étranger parmi nous ? Notre monarque triomphant a-t-il un meilleur Français que vous dans son armée ? Et dans quel endroit du monde seriez-vous étranger, à cette heure qu’il est rempli de votre nom ? Vous voyez comme au bruit de ce nom illustre un prince2 curieux est venu des pays lointains avec une suite de cent mille hommes pour vous rendre une visite, vous voir et prendre de vous une leçon de son métier. Il n’est bruit que de la bonne réception que vous lui avez faite3 Vous l’avez, dit-on, régalé à votre façon, c’est-à-dire que rien n’y a manqué. On vante surtout la politesse française avec laquelle vous venez de  reconduire S. A4 . Rien de plus courtois en effet. On raconte que vous l’avez débarrassé d’une grande partie de sa suite qui aurait affamé sa route, d’une grosse artillerie qui aurait appesanti sa marche et de je ne sais combien d’enseignes et de drapeaux qui ne lui servaient guère plus à porter qu’à traîner. Aussi Dieu sait les vers qu’il chante à votre louange5 . Mais ses vers et les nôtres ne vaudront jamais la saillie d’un nouveau débarqué des bords de la Garonne qui, voyant passer l’autre jour, je ne sais combien d’étendards qu’on portait à Notre-Dame, s’écria dans toute la force et l’acceent de son pays, Cadedis, M. le  Maréchal nous scandalise. Il veut, Dieu me damne, faire de cette  église le garde-meuble de Mme d’Hongrie. Ah ! n’en déplaise toutefois au Cadedis, loin de vous trouver scandaleux, je vous maintiens le maréchal de France le plus édifiant que nous ayons, quoique, Dieu merci, nous en ayons  de très pieux***. Oui, Monseigneur, vous êtes un ange venu du Ciel pour notre salut temporel et spirituel. Vous nous conduisez en paradis dans votre char de triomphe. Depuis que vous avez l’épée et le bâton à la main, vous nous remplissez la bouche de louanges de Dieu. Les Te Deum n’en finissent pas ; j’y vois courir des gens que je ne vois jamais à nos grandes messes, et que je ne connais que par leur assiduité à l’Opéra. Sans vous parler des beaux mandements**** pleins d’onction que vous nous valez par là, et que vos exploits font couler sans cesse de la plume de nos prélats. Recevez, Monseigneur, le petit tribut de la mienne, en attendant que le triomphe héroïque de notre célèbre historiographe ait  achevé de graver dignement votre portrait, et que le noble sacristain du Temple de la Gloire l’ait placé à côté de celui de Trajan, comme on a mis celui du grand Turenne à côté de ceux de nos rois.

J’ai l’honneur d’être, etc. Piron.

  • 1Le Prince Edouard (M.).
  • 2Le prince Charles de Lorraine, commandant l’armée des alliés en Flandres (M.).
  • 3Dans celui de MM. Les grands vicaires de M. D. pour la prise de la ville de Namur, il y a un très beau trait à la louange de M. le maréchal de Saxe et de M. le comte de Clermont. « Prince qui commandait au siège » (M.).
  • 4Arouet de Voltaire (M.).
  • 5Opéra de Voltaire représenté à Versailles au mariage de M. le Dauphin (M.).

Numéro
£0062


Année
1746




Références

Clairambault, F.Fr.12715, p.219-21 - F.Fr.10477, f°330-31 - F.Fr.13658, p.159-61 - NAF.9184, p.419-20


Notes

Lettre de M. Piron à M. le maréchal de Saxe après la bataille de Rocoux donnée le 11 octobre 1746