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Lettre de Louis XIV à Louis XV

Lettre de Louis XIV à Louis XV en 17341


De petits bruits, Monsieur, ne réveillent pas les morts. Cependant pour troubler mon repos, il en faudrait moins que les plaintes continuelles et générales de tout votre Royaume contre les prévarications et les violentes injustices de vos ministres.

Dans le temps qu’ils affectent de vous proposer mon gouvernement pour modèle, ils vous font suivre des maximes toutes contraires à celles qui ont rendu mon règne si glorieux ; aussi n’êtes-vous ni considéré de vos voisins, ni aimé de vos peuples. Ces malheureuses vérités se démontrent, l’une par le gouvernement extérieur de votre royaume, l’autre par toutes les négociations faites avec les princes étrangers depuis le déplacement artificieux de M. le Duc.

Il s’était élevé un orage depuis le nord jusqu’au sud, prêt à fondre sur le Roi d’Angleterre. Fleury, pour le dissiper, a prodigué partout des sommes immenses. Du temps du duc Régent et avant que le Ciel vous eut donné des héritiers mâles, une pareille politique aurait été moins blâmable.

Depuis ce bonheur, c’est avoir manqué de bon sens que de n’avoir pas profité de l’occasion qui se présentait, sinon pour chasser une race usurpatrice, du moins pour rétablir et assurer le commerce de vos sujets et pour borner celui des Anglais qui rendait les anciens ennemis de votre couronne presque maîtres du sort de l’Europe. Fleury, bien loin d’y travailler, a mieux aimé exposer la France par le traité de Séville, avoir mal à propos elle-même la guerre que de ne pas affermir la maison d’Hanovre sur le trône d’Angleterre et conserver à ce royaume le vaste commerce qu’il prétend faire seul à l’exclusion des aures nations. Vous et votre royaume, vous êtes déjà senti de la perfide lâcheté de votre ministre. Si d’ailleurs il a eu assez de sentiment pour n’être pas tout à fait insensible à la honte infinie et publique dont le couvre le mépris qu’ont marqué pour lui les Anglais se réconciliant à son insu avec l’Empereur.

Quoique cet affront tombe en partie sur vous, vous pouvez vous en consoler comme d’un incident passager, si cette réconciliation n’avait pour nous des suites plus pernicieuses que n’est l’insulte en elle-même.

La principale attention de vos ancêtres depuis l’élevation subite de la maison d’Autriche, a toujours été de la faire tomber.

Le Ciel semblait en avoir ménagé l’occasion, en ne donnant pas d’enfant mâle à l’Empereur. Les Anglais en ont prévenu l’effet en garantissant eux-mêmes et en faisant garantir par leurs alliés la Pragmatique Sanction que l’Empereur a faite pour prévenir la division et le partage de ses Etats héréditaires.

Si Fleury s’était moins pressé à pacifier le trouble dont le Roi d’Angleterre était menacé, ce Prince n’aurait jamais hasardé de se rendre  garant sans la participation de la France d’une loi si opposée à ses vues naturelles. La juste appréhension qu’elle ne le fût alors, jointes à ses autres ennemis l’en aurait retenu, mais on ne ménage guère une puissance qui s’est mise hors d’état de nuire.

Que Fleury ne dise point qu’il n’a travaillé pour le Roi d’Angleterre qu’afin de prévenir une guerre générale en Europe. Si le marquis de Torcy avait été à la tête des affaires, il aurait aisément, par des négociations bien menées, su conserver la paix, sans éteindre entièrement les troubles, n’en permettre l’éclat.

La faute qu’a faite en cela votre ministre devient tous les jours plus difficile à réparer par son indolence à faire échouer les négociations de l’Empereur en Russie et en Pologne, l’alliance de ces deux royaumes doit vous être moins indifférente que jamais, outre qu’elle vous est absolument nécessaire pour les intérêts de votre beau-père vous ne pouvez trouver que chez ces potentats les secours que la Suède n’est plus en état de vous donner.

Avoir négligé de prendre là-dessus de justes mesures, est une faute si grossière que, quelque borné que soit le génie de Fleury, on ne peut imaginer qu’il n’en ait aperçu le danger. Il semble plutôt que par un dessein formé, il n’ait procuré la paix aux ennemis de votre Etat, et qu’il ne leur ait cédé vos intérêts les plus essentiels que pour avoir plus de loisir et de facilité à faire la guerre à votre indépendance et aux libertés de l’Eglise gallicane, deux points également attaqués par la Constitution Unigenitus.

Vous me reprocherez peut-être qu’en ayant été le premier moteur, je n’en ai point aperçu les suites funestes. Je mériterais des reproches, s’il n’était notoire que les hommes en général et principalement les princes sont aisés à surprendre en matière de religion, surtout qunand ils parviennent à un âge très avancé. Agités de remords à la vue des désordres d’une longue vie, ils cherchent à les calmer en satisfaisant à de frivoles scrupules. Il n’est que trop ordinaire de croire accomplir l’essentiel de la foi : une conscience troublée adopte dans ses derniers moments tout ce qu’on lui présente, comme des moyens d’expier les dérèglements de sa conduite.

Ceux qui vous dirigent ne vous proposent souvent que des œuvres extérieures, qui séduisent les hommes en notre faveur, mais qui n’en imposent pas au Souverain Juge. C’était dans de pareilles conjonctures que mon confesseur me persuada que je devais employer mon autorité pour me faire accepter une Bulle qu’il me représenta comme une légitime condamnation de cent erreurs pernicieuses ; il me cachait soigneusement le venin de cette fatale pièce, et je n’avais garde de soupçonner l’usage que lui et sa Société en voulaient faire ; je croyais signaler mon zèle pour les intérêts de la vérité et je n’ai su, qu’avec cette bonne intention, que je la persécutais en effet, que depuis que je suis en ces lieux, où nous apprenons au juste ce que vaut chacune de nos œuvres. Si les artifices qu’ont employés les jésuites pour me séduire, quelque imperceptibles qu’ils fussent, ne me rendent pas excusable d’avoir donné dans leurs pièges, combien moins l’êtes-vous.

Les ressorts que fait jouer votre ministre pour vous tromper sont grossiers et visibles, ou parce qu’il est simple lui-même, ou parce qu’il suppose que votre aveugle confiance en lui vous empêche de voir les panneaux qu’il vous tend ; il vous fait voir sa Bulle dans des points de vue pour lesquels elle n’a jamais été demandée.

Combien de gens nécessaires pour la faire valoir répandus ans tout le royaume ! ils y font plus de dégât que s’il était ravagé tout à la fois par la guerre, par la peste et par la famine.

Si la France éprouvait ces fléaux, elle en pourrait guérir par la suite des temps, mais elle sera perdue à jamais si son indépendance est une fois engloutie par le Pape, accoutumé à tout s’approprier et à ne jamais rien rendre, ou si elle reste longtemps, comme à présent, sans commerce, sans crédit, sans argent, sans justice et sans religion.

Tout le monde convient en particulier de ces tristes vérités, et cependant tout le monde a la faiblesse de ne point s’y opposer avec rigueur.

Les princes du sang, qui par leurs exemples y devraient animer les gens qui pourraient y remédier, les en découragent au contraire par leur silence et par leur inaction. Mais pourquoi restent-ils muets ? Quelques tartuffes gagnés par Fleury font un faux devoir de religion de dissimuler au bon duc d’Orléans ce qu’elle lui défend. Est-ce à lui de croire en simple moine ? la dévotion doit-elle étouffer dans le premier prince du sang tout ce qu’il doit à sa gloire, à sa naissance, et à sa patrie, à vous et à la religion ?

M. le Duc sent mieux que personne les fausses démarches du gouvernement, tant par l’expérience qu’il en a, que par les excercies continuels d’une dévotion déplacée ne lui offusquent la vue, et la droiture de ses sentiments animés par un grand zèle pour vous le porterait sans doute à vous dévoiler la fourberie de votre ministre, s’il n’appréhendait que nous ne regardassiez ses remontrances que comme une vengeance naturelle de l’insulte et de la trahison qu’il lui a faite.

Si le comte de Charolais n’attaque pas Fleury avec la même fermeté qu’il combattit contre les Turcs devant Belgrade, c’est par indifférence pour vous ou pour son cher ami, à l’exemple de qui, lui et le comte de Clermont croient être obligés de se conformer par une juste bienséance.

Le prince de Conti prévoit que sa grande jeunesse empêcherait de faire attention à ce que son esprit prématuré, aidé des lumières de madame sa mère, pourrait proposer.

Les princes légitimés négligent une bonne occasion de faire connaître qu’ils sont dignes d’être ce qu’ils sont, et qu’ils sont coupables d’être retenus par de vaines espérances, des craintes honteuses et des jalousies déplacées. 

Le maréchal de Villars qui a vécu moins de jours qu’il n’a exposé de fois sa vie pour le bien du royaume, lutte à présent faiblement contre un ministre, dont dans l’ancienne Rome une seule femme aurait purgé la république.

Le duc de Villeroy parlerait s’il vous aimait moins tendrement, effrayé de la perfidie de Fleury envers son père, il préfère le  plaisir de rester toujours auprès de vous que de s’exposer à être exilé.

Si le zèle de Mortemar n’éclate pas, c’est qu’il craint les justes reproches qu’on pourrait lui faire d’être la cause innocente de tous ces malheurs, s’il ne vous avait pas pressé de retenir Fleury quand du temps de M. le Duc il affecta de vouloir se retirer, ce nouveau et inhabile Phaéton n’aurait jamais pu revenir et se charger de conduire le char du soleil.

Les jeunes seigneurs de votre cour bornent leur félicité à l’honneur de courir avec vous à la chasse, de souper avec vous à la Meute, d’être de tous vos voyages et de pouvoir s’amuser avec les dames sans interruption, de sorte que, livrés à de pareilles dissipations, il n’est point étonnant que le duc d’Epernon et le duc de Gesvres aient seuls conservés assez d’élévation d’âme pour vous découvrir la douloureuse situation de vos sujets. Je m’étais flatté qu’une noble émulation exciterait d’autres à suivre de si beaux exemples. Sans cela je n’aurais pu différer jusqu’à présent à vous avertir de ce qui se passe chez vous et des désordre que votre ministre vous  cache avec soin, ou qu’il ne vous représente qu’avec de fausses couleurs quand il ne peut vous les dissimuler totalement.

Ne soyez pas surpris   de lui connaître ce caractère ; sorti du sein de la poussière et de la servitude, son père en lui donnant l’être pouvait-il lui transmettre des sentiments ? Né sans esprit, bien loin d’employer sa jeunesse à acquérir au moins quelques talents qui pussent lui en tenir lieu, il ne s’appliqua qu’à la seule science par laquelle les petits maîtres réussissent auprès des dames. Par leur protection il a été peu à peu retiré de l’obscurité à laquelle son naturel et encore plus sa basse naissance l’avait condamné.

Quand par les brigues du sexe, on me proposa Fleury pour être votre précepteur, je le rejetai d’abord comme incapable d’élever un particulier, et encore davantage de former un grand prince. Le maréchal de Villeroy triompha de ma répugnance, trompé lui-même je ne sais par quelle illusion ; je lui prédis dès lors qu’il allait élever une vipère dans son sein, et en mourant je recommandais comme un point essentiel de ne le jamais admettre dans le Conseil, par pressentiment des malheurs dans lesquels il plongerait vos peuples. Informé de l’avis que j’avais donné, il a de loin pris des mesures pour vous  empêcher de le suivre.

Par des complaisances qui ne convenaient point au poste qu’il occupait auprès de vous, il vous a tellement assujetti à ses volontés, que de sujet il s’est rendu votre roi et votre maître absolu.

Non content d’usurper l’autorité royale pour augmenter la splendeur du cardinalat, auquel Rome s’était obligée de l’élever, il a pris avec elle des engagements pour le soutien, suivant ses prétentions, en France d’une Bulle qui vous rend dépendant du pape, et ses évêques indépendants de vous.

C’est à l’exécution cruelle de ces funestes engagements qu’on immole vos revenus, la tranquillité publique, la gloire et les intérêts de votre couronne et même tout ce que la religion a de plus sacré. Comme on ne peut sans résistance porter tant de coups mortels à une nation qui aime plus que la vie son indépendance de tout autre que de vous, son honneur et sa religion, Fleury trouva  partout de l’opposition à ses desseins. Pour perdre ceux qui le contrarient, il les fait tous passer pour jansénistes, on les accuse du crime qu’il commet lui-même, c’est-à-dire d’en vouloir à votre autorité.

En vous faisant ainsi prendre le change, il excite votre indignation contre ceux qui ne sont faits que par leur fermeté à défendre vos droits et la liberté de leur conscience. Ces honnêtes gens, aussi estimables par leurs mœurs qu’utiles à votre service par leurs lumières et par leur droiture, sont inhumainement persécutés par Fleury. Leurs crimes étant chimériques, il ne se sert pas de la justice ordinaire pour les en punir, mais il a établi une espèce d’inquisition encore plus barbare que celle d’Espagne et d’Italie.

Là on interroge toujours l’accusé et on lui présente des témoins ; chez vous, sans interrogatoire, sans preuves, sur un simple soupçon,              et sur la déclaration secrète de quelque ennemi, les prétendus coupables, sont, sans qu’ils puissent deviner pourquoi, dépouillés de leurs emplois et exilés de chez eux par des lettres de cachet, et par des ordres qu’on appelle les vôtres.

Afin que cette tyrannie s’exécute dans toute l’’étendue de votre royaume avec plus de promptitude, les évêques sont par lui autorisés de faire contre eux ces sortes de preuves, trop sommaires pour pouvoir jamais être justes.

Si quelqu’un en appelle au parlement, chargé en votre nom de rendre la justice à vos sujets, on évoque d’abord l’affaire au Conseil, où Fleury étant tout à la fois et juge et partie, l’innocent est toujours condamné et l’évêque coupable renvoyé absous et triomphant.

Les parlements, touchés de tant de violences et encore plus des dangers dans lesquels Fleury expose votre autorité, ont tenté nombre de fois de pouvoir représenter l’un et l’autre à Votre Majesté, mais il vous a détourné de les entendre, sous prétexte que ces  cours sont remplies de prétendus jansénistes et de leur rébellion à vos ordres.

Le parlement de Paris, comme le plus en droit et le plus à portée d’approcher de votre persone, vous a constammet pressé et supplié depuis longtemps d’écouter ses justifications sur des calomnies si atroces ; mais par des maximes aussi injustes que celles des Otomans, cette espèce de grand vizir vous a toujours insinué qu’il n’est point de votre grandeur d’entendre cette auguste compagnie, qu’il faut la faire obéir sans recevoir ses remontrances, et qu’il convient de lui dire lorsqu’il parle Taisez-vous ; retirez-vous ; je ne veuxp oint vous voir ; vous sentirez pendant toute votre vie les effets de ma juste indignation.

Que faut-il de plus pour vous marquer les trahisons de Fleury, que ce conseil seul qu’il vous donne de refuser entièrement les représentations d’une compagnie établie en partie pour vous donner ses avis dans des occasions aussi presssantes.

Il sait que le parlement est en état de vous démontrer sensiblement, par des brefs des derniers papes, par des mandements des évêques, par des thèses soutenues en Sorbonne et par le récit des pratiques secrètes de ce ministre, qu’il  a comploté avec eux tous d’abandonner à l’ambition de la cour de Rome les droits et les libertés de votre royaume. S’il n’était point persuadé que cette conspiration   serait découverte dès que le parlement vous parlerait, il s’y opposerait d’autant moins que s’il ne vous inspirait pas, il serait de son honneur de faire constater la vérité de ce dont il accuse ce parlement par les discours qu’il vous en fait.

Voilà comme il vous joue, mais cela ne serait encore rien, s’il ne savait pas corrompre les chefs de cette complaisance et les obliger de vous rapporter toute autre chose que ce qui y a été délibéré.

Portail, votre premier président, n’est admis à votre audience qu’après être convenu avec Fleury d’exposer à Votre Majesté les sentiments de sa compagnie, non tels qu’ils sont, mais conformément aux impostures de ce ministre.

D’Aguesseau, autrefois assez ferme et dans les sentiments mêmes que l’on désapprouve dans ce parlement pour se laisser exciter plutôt que de les quitter, les contredit à présent sans se louer de la honte que lui fait son changement. Il faut qu’il avoue ou d’avoir manqué de lumières avant son départ pour Fresnes, ou après en avoir été de retour, qu’il est devenu infidèle à ses propres sentiments       et à son honneur, à sa patrie, à vous et à sa religion.

Peut-être s’est-il laissé séduire par l’exemple de Chauvelin qui porte les intérêts de sa famille jusqu’à vouloir en faire sortir un jour un duc.

Ce chancelier en survivance, dicte à Fleury ce qu’il doit exiger du faible d’Aguesseau, en sorte qu’il n’attend pas sa mort pour faire les fonctions de cette charge suivant ses vues. S’il lui en laisse le nom, ce n’en est pas de même des sceaux ; aussi les lui a-t-il enlevés, et non content d’être avec cela secrétaire d’Etat des affaires étrangères, il a restreint les emplois des autres secrétaires et le contrôleur général à ceux de ses premiers commis, en les obligeant chacun dans leur département de lui rapporter les affaires qui les regardent. Il ne doit point être étonné, depuis que son avidité est montée au point de tenter de dépouiller son bienfaiteur de la moitié de son pouvoir. Sous prétexte de soulager sa vieillesse caduque ne voulait-il pas l’engager à l’adopter comme compagnon dans le gouvernement de votre royaume ?

Tant de pouvoir réuni dans un homme aussi ambitieux et intéressé que fin et hardi achevera d’autant plus tôt d’abîmer votre royaume en avilissant votre autorité.

Pour éviter cette honte, remédier aux désordres présents et prévenir ceux dont vous êtes menacés, voici les conseils que j’ai  à vous donner.

Souvez-vous d’abord qu’il n’est glorieux d’être roi qu’autant qu’on est digne de l’être.

Soyez jaloux de votre pouvoir et regardez comme des traîtres tous ceux qui voudront s’en charger.

La conduite générale du royaume n’appartient qu’à vous seul ; personne n’en doit avoir connaissance que la reine, votre épouse. S’il n’est point prudent de lui donner autant d’autorité qu’en a la reine d’Espagne, c’est aussi une prudence de laisser la vôtre ignorer vos maximes de régner, outre qu’elle est en état de vous donner de bons conseils, il est nécessaire qu’elle ne soit pas ignorante dans l’art de gouverner si le Ciel qui  compte vos années  venait à en terminer le cours, dans le bas âge des  princes vos enfants, la régence du royaume lui appartiendrait.

Les ministres doivent être employés au gouvernement pour ce qui concerne à chacun en particulier leur département, mais sans les faire dépendre les uns des autres.

Quand ils travailleront directement avec vous, revêtus comme de mon temps d’égale autorité, une noble émulation les animera tous de se surpasser mutuellement, au lieu qu’à présent, honteux de se voir assujetis  aux ordres d’un Chauvelin, ils ne peuvent remplir leurs devoirs qu’avec déplaisir.

Cette désagréable sujétion ne détruit pas seulement la considération dont ils doivent jouir dans le public pour en être mieux obéis, mais aussi elle rend l’expédition des affaires beaucoup plus longue, ce qu ne convient point au bien de l’Etat, ni aux intérêts des particuliers.

Vous n’aurez pas plus tôt remis le ministère sur l’ancien pied que vos ministres vous expliqueront avec liberté et franchise les secrets dont on se sert aujourd’hui pour surprendre votre religion, et vous engager à concourir à votre perte.

La parfaite connaissance de tout cela vous est pourtant absolument nécessaire, mais vous deviendra inutile si vous ne congédiez votre confesseur jésuite ; il n’est que l’espion de la Société dans la direction de votre conscience ; il ne s’applique qu’à la rendre susceptible des impressions jésuitiques, en sorte que si vous ne vous désabusez de ce corrupteur de vos sentiments, vous ne pouvez espérer ni d’apprendre la pureté de votre religion, ni de devenir capable d’approfondir la vérité des troubles que ces hommes excitent dans votre royaume.

A la place de ce confesseur intrigant et remuant, prenez un honnête homme qui ne soit d’aucun ordre, ni partisan outré d’aucun des partis qui disputent à présent pour ou contre la Constitution. Le cardinal de Polignac, également éclairé et rempli de droiture, pourra mieux qu’un autre vous en faire le choix. Délivré ainsi du joug tant de Fleury que du confesseur jésuite, vous deviendrez maître de vous-même et de vos propres lumières.

Depuis ce recouvrement de liberté, votre esprit approfondira sans peine la vérité des accusations que le parlement et Fleury font réciproquement l’un contre l’autre d’attenter à votre autorité suprême ; c’est elle que l’on attaque de l’un ou de l’autre côté ; la partager avec le parlement serait honteux ou dangereux, mais le serait encore davantage de la laisser envahir par le pape et par les évêques que vous ne pourrez pas punir avec la même facilité qu’un parlement rebelle.

Cette réflexion doit vous animer à ne point juger une affaire, où il ne va rien moins que de votre gloire et de tout votre bonheur dans ce monde sans écouter avec attention les deux partis.

Ordonnez à un Pucelle, à un Delpech, à un Ogier, à un Titon de vous prouver, non en particulier, mais en présence de Fleury les griefs dont on le charge, et vous le verrez dans l’instant atteint et convaincu de haute trahison, d’avoir conspiré la perte de votre indépendance, des libertés de l’Eglise gallicane, avec Rome et la plupart de vos évêques. Leur perfide dessein se découvrira     visiblement

1° dans leur silence sur la légende de Grégoire VII.

2° Dans les soins qui’s prenent dans leurs mandements et dans les arrêts et déclaratin q’ils extorquent de vos ministres de ne jamais nommer les 4 articles de 1682, ni les modificatins avec lesquelles la Bulle a été reçue et enregistrée au parlement.

3°. Dans l’exclusion de la Sorbonne de tous les docteurs qui soutenaient et défendaient vos intérêts et ceux de votre Eglise.

4°. Dans le déplacemet de tous les ecclésiastiques qui ne veulent pas recevoir la Bulle purement et simplement , de cœur et desprit.

5°. Dans la persécution que l’on fait à tous vos sujets qui y résistent de quelque âge, sexe et condition qu’ils soient.

6°. Dans l’emploi que l’on fait des ecclésistiques  les plus infectés des sentiments ultramontains.

7°. Dans le bref d pape contre les avocats de différents prlements.

8°. Dans les attentions de Fleury à vous dérober la connaissance de tout ce qui se passe, ou à vous engager à le dissimler par dérérence pour le Saint-Père, comme si c’était blesser le respect dû au Saint-Siège que d’imiter en cette rencontre les autres qui princes qui croiraint se déshonorer et céder facilement leurs droits, s’ils ne s’élevaient contre de pareils attentats publiquement et avec vigueur.

9°. Dans le dernier mandement de l’archevêque d’Arles, où il se fait un point d’honneur et de religion de s’y avouer désobéissant à vos ordres  et de ne respecter que ceux du pape.

Les autres évêques pensent de même, ils parlent seulement avec moins de franchise. Forbin est plus sincère et plus étourdi qu’eux. Il y a apparence que c’est à leur instigation qu’il a éclaté et qu’ils l’ont lâché comme un enfant perdu pour commencer le combat.

Après tant d’indices de la révolte préméditée de vos évêques, il ne faut plus vous endormir sur les fausses protestations qu’ils vous font en particulier et en termes ambigus de leur fidélité. Obligez-les de parler clairement là-dessus et ne soyez point indulgent dès qu’ils s’en écarteront par la moindre démarche tant soit peu équivoque.

Avec la même sincérité faits juger et punir le ministre s’il vous a trahi, ou votre parlement s’il veut vous tromper, afin que ce soit un exemple aux autres, et que vos peuples voient  que vous n’êtes point complice des maux qu’ils leur ont fait essuyer.

 

Arrêt du parlement du 20 mars 1733 qui ordonne que la lettre ci-dessus sera lacérée et brûlée en la cour du palais au pied du grand escalier dudit parlement par l’exécuteur de la haute justice, comme séditeuse, calomnieuse et injurieuse à Sa Majesté et à l’autorité royale, ce qui a été exécuté.

  • 1"A peine le public s'aperçut-il que l'on condamnait des thèses soutenues en Sorbonne en faveur des prétentions ultramontaines, qu'on fit brûler une lettre de Louis XIV à Louis XV et d'autres satires méprisables, aussi bien que quelques lettres d'évêques constitutionnaires", Voltaire, Histoire du parlement de Paris (éd. Oxford, 2005, p.503)

Numéro
£0138


Année
1733

Auteur
Robert de Steuil



Références

Clairambault, F.Fr.12705, p.97-100g - F.Fr.13655, p.269-284 - F.Fr.13661, p.273-91 - F.Fr.23859, f°172v - Chambre des députés, MS 1422, f°222-230

 


Notes

Nous disions dans le dernier Glaneur que le Parlement de Paris avait condamné au feu, le 20 du mois passé, un affreux libelle ayant pour titre Lettre de Louis XIV à Louis XV, où le gouvernement est traité de la manière la plus horrible et même la plus furieuse. [Suivi de l'arrêt de condamnation du Parlement à être lacéré et brûlé du 20 mars 1733, reproduit intégralement, mais non le texte incriminé.]