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Lettre au sujet de la dernière assemblée du clergé en 1726

Lettre au sujet de la dernière assemblée du clergé

Voici, Monsieur, les dernières nouvelles qu'on débite à Paris touchant la dernière assemblée du clergé. Nosseigneurs les évêques avaient assemblé un petit comité qu'ils avaient appelé Bureau de doctrine ; de mauvais plaisants disaient que ce bureau ressemblait à ceux de la banque, où l'on voit écrit en grosses lettres Bureau de l'or, Bureau de l'argent ; ceux qui y entraient n'y trouvaient que du papier. Assurément cette comparaison est bien fausse. Ce bureau de doctrine a été composé de prélats tous connus dans l'Église, à la Cour, chez les femmes, même ailleurs, les uns par leur doctrine, les autres par la pureté de leurs moeurs ; ceux-ci par un zèle qui n'a jamais approché du fanatisme, par une modération toujours opposée à l'esprit de parti, ceux-là par une mâle éloquence qu'on n'a jamais soupçonnée de pédantisme. Ces successeurs de saint Pierre ont été assemblés longtemps pour confondre, je ne sais quels impies abominables appelés jansénistes, genre dangereux dans un État, qui prétendent qu'on peut à l'avenir examiner quelquefois les constitutions des papes, mais qu'il faut obéir au prince et payer ses dettes.

Nosseigneurs les évêques, après beaucoup de séances et un mûr examen, ont solennellement déclaré qu'ils n'avaient pas le temps de songer aux affaires sprituelles, parce que les temporelles les avaient trop occupés. Le public, qui connaît leur désintéressement, les a crus volontiers sur leur parole. Enfin, Monsieur, voici leur résolution sur le temporel, auquel ils ont donné si saintement la préférence.

Il a semblé bon au Saint Esprit et à eux de ne point payer leurs créanciers, et de refuser à l'État des contributions auxquelles les autres ssujets sont soumis ; à l'égard de leurs dettes, on n'est pas surpris que Nosseigneurs, assemblés en corps, fassent d'un commun consentement ce que chacun d'eux fait quelquefois en particulier. D'ailleurs leurs contrats de rentes, que tant de familles ont sur le clergé depuis plus de cent ans, ont été si justement réduits au denier 50 par la direction de Nosseigneurs les évêques qu'on peut avec la même justice les anéantir tout à fait. Ces successeurs des apôtres ne pouvaient prêcher autrement ni plus efficacement la pauvreté évangélique.

Pour ce qui concerne le Cinquantième, ne serait-ce pas un sacrilège manifeste de leur en proposer le paiement ? Les charges nécessaires de l'État doivent tomber sur la noblesse qui prodigue son sang et ses biens dans le service ; elle doit tombre sur la bourgeoisie, qui fait fleurir le commerce ; sur les laboureurs, qui sont les nourriciers de leurs concitoyens ; sur les artisans, qui vivent du travail de leurs mains ; tous doivent secourir l'État, les uns de leur patrimoine, les autres du profit de leur industrie ; mais serait-il juste qu'un gros bénéficier qui ne saisit (?) aucun bien, obtenu sans aucune peine, pourvu d'abbayes considérables, et qui malgré son opulence n'a pas au bout de l'an de quoi donner aux pauvres, puisse avoir de quoi donner au Roi ?

L'ordre du clergé, qui possède le tiers des revenus du royaume, ne peut sans doute en payer le cinquantième, et quand il le pourrait, les droits de la religion lui sont trop chers pour les trahir. Ils se souviennent qu'autrefois l'Église était exempte de contributions, lorsqu'elle était pauvre, et ils veulent avec raison que leurs immunités s'accroissent tous les jours avec leurs richesses. Mais ils se déshonoreraient de payer à leur roi et à leur patrie la cinquantième partie de ce même bénéfice qu'ils tiennent de la libéralité du Roi.

Les peuples sont si persuadés de la justice de leur cause, et si édifiés depuis longtemps de leur conduite, qu'il n'y a point sans doute de seigneur ni de fermiers qui, s'étant acquittés des devoirs d'un bon citoyen en contribuant au soulagement de l'État ne prennent la [?] pour empêcher qu'un prélat ou qu'un abbé commendataire ne soit exposé à l'horrible scandale d'en payer sa part. Voilà, Monsieur, ce qu'on pense de Nosseigneurs les évêques. Le public rend justice à leur humilité et à leur désintéressement, à leur amour pour la patrie, pour la paix, et si on nous en croyait, au lieu de les obliger de payer leurs impôts et leurs dettes, on augmenterait leurs biens pour l'édification du prochain et pour le salut de leurs âmes.

Numéro
£0229


Année
1726




Références

Clairambault, F.Fr.12701, p.28-30 - F.Fr.15014, f° 75r-78v - F.Fr.25570, p.321-323