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Épitaphe De Louis Quatorze, Roi de France

Épitaphe

De Louis Quatorze, Roi de France

 

Arrête, passant, et lis

Louis Quatorze enfermé sous cette pierre jouis d’un repos

Qui en procure à ses sujets.

Il eût été grand d’effet aussi bien que de nom,

S’il s’était maintenu jusqu’à la fin tel qu’il avait paru au commencement.

Ce fut le 5 septembre 1638

Qu’il naquit enfin d’un père infirme

Et d’une mère qui avait passé longtemps pour stérile.

Il fut regardé comme un présent que Dieu voulait bien accorder aux voeux des fidèles.

 

Roi soumis

Il n’avait pas vingt ans lorsque par la mort de son père

Son royaume passa sous la tutelle de sa mère.

L’Espagne, déjà craignant que la France ne trouvât en lui un défenseur

L’attaqua dans cet état de faiblesse

Et ses propres sujets conjurèrent sa perte.

Ainsi cet enfant, vraie pierre de contradiction, fut élevé au milieu des armes

Il eut dès l’enfance des dispositions assez heureuses

Mais ces qualités intérieures

N’étant pas secondées par une éducation convenable qui le fortifiât

 

ce jeune homme mal élevé

S’abandonna à des loups couverts de la peau de brebis.

 

Quel air de grandeur dans ses traits et toute sa personne !

La beauté de son visage était à l’épreuve des fatigues et des ardeurs du soleil ;

Il avait le front majestueux,

Les yeux vifs, mais gracieux ;

Sa haute taille et tout son extérieur inspirait l’amour et l’y rendit propre.

Aussi fut-il adonné à la galanterie.

Il prima dans tous les exercices du corps,

Excellent danseur,

Cavalier infatigable,

Chasseur adroit,

 

Habile joueur,

Il ne le céda sur ce point qu’au seul Chamillard.

Il eut pour femme Marie d’Autriche,

Aussi recommandable par sa sagesse que par sa beauté.

Mais ce prince peu complaisant pour son épouse,

Au lieu de modérer ses ardeurs,

Tendit des pièges à la vertu des filles,

Se livra aux plus débauchées ;

Il en vint même

 

Infâme adultère

Jusqu’à corrompre les femmes de ses sujets

Il força le roi d’Espagne qui affectait la préséance à la lui céder.

 

Vif sur le point d’honneur

Il fit élever une pyramide

Pour apprendre aux Romains qui avaient manqué de respect à son ambassadeur

Quel honneur ils devaient au nom français.

 

Foudre de guerre

Lorsqu’il fallut la faire ; il ne fut inférieur ni aux Alexandres, ni aux Césars.

Autant soldat que capitaine,

Il défit, dépouilla, atterra

Presque tous les Princes de l’Europe alliés ensemble.

 

Arbitre de la paix

Après avoir par la paix étendu les limites de son royaume,

Et abattu ses ennemis sans perdre de ses forces,

Il les obligea à recevoir les conditions de paix qu’il leur imposa.

 

Ressource des princes malheureux,

Il eut pitié des calamités de Jacques II et de l’électeur de Bavière.

Il n’épargna rien pour secourir l’un et parvint à rétablir l’autre.

 

Fidèle à ses serments

Il employa généreusement ses troupes et ses finances

Pour soutenir les Hollandais ingrats,

Et pour empêcher que la capitale d’Autriche ne fût la proie de l’avidité des Turcs.

 

Père du peuple

Il fut attentif à pouvoir aux besoins de ses sujets, et même à les enrichir

Il construisit des ports,

Joignit des mers,

Réunit des rivières,

Equipa des flottes,

Enrôla des matelots,

Détruisit des pirates,

Établit de manufactures.

 

Protecteur de la noblesse

Et sachant par lui-même combien le sexe est fragile,

Surtout lorsque la pauvreté l’expose à tout faire et à tout souffrir.

Pour empêcher les jeunes Demoiselles de déroger à la noblesse de leurs ancêtres,

Il fonda une maison où 300 filles doivent être élevées et entretenues.

 

Aux dépens d’autrui

Il fit voir la délicatesse de son goût en étalant sa magnificence,

Le château de Versailles, preuve manifeste de ses dépenses excessives en bâtiments,

Démontre aussi qu’il favorisa les beaux-arts

Avec autant d’intelligence que d’ardeur

 

De peur que la crainte d’être blessé dans les combats

Ou de vieillir dans les armées

Ne ralentît le courage de ses soldats,

Il voulut que dans le superbe édifice qu’il leur fit bâtir

Les affamés trouvassent des aliments,

Les nus des habits,

Les malades des remèdes,

Les vigoureux de l’occupation,

Les desoeuvrés une compagnie,

Les dévots un oratoire

Les vieillards du repos,

Les estropiés du secours dans leurs différentes infirmités

 

Amateur des sciences qu’il ignorait,

Il établit des académies en tout genre.

Ce fut par ses libéralités que, dégagés des embarras, des besoins et des affaires de la vie,

L’astronome observa les astres,

Le physicien découvrit la structure des corps,

Le botaniste examina la vertu des plantes,

Le chimiste décomposa les mixtes par le moyen du feu,

Dans le Louvre même, éloigné du bruit, à l’ombre des lauriers, il épura la langue française

Et la rendit susceptible de nouveaux agréments.

 

Sectateur de l’élégance, moins éclairé que poli,

Il fit en sorte de parvenir

Par la prééminence du langage à cette monarchie universelle

Qu’il n’avait pu établir par la force des armes ;

 

Zélé pour les traditions de ses aïeux

Il ne tint pas à lui que ceux que l’Église avait expulsés ne revinssent à la voie du Salut

Ses promesses, ses bienfaits, ses menaces, ses missions, ses dragons

En forcèrent plusieurs de rentrer dans le sein de l’Église.

Il chassa les autres de son royaume.

 

Défenseur de la religion,

Il réprima par des lois et des supplices sévères la fureur des duels,

Cette peste aussi pernicieuse à l’État et à la Religion

Que funeste au repos et au salut de ceux qui s’y laissent entraîner.

 

Mais, Ô Ciel, que le pas est glissant de la vertu au vice !

Trompé dès le berceau par le vain fantôme

 

Du jansénisme

Et détourné par les intrigues des jésuites vers le plus mauvais parti,

Il se laissa aveugler par les flatteries ambitieuses d évêques

Qui cherchent leurs intérêts plutôt que ceux de Jésus-Christ,

En donnant mal à propos sa confiance à des gens indignes de la posséder.

 

Il se précipita de mal en pis.

Alors la vérité ne trouvant plus aucun accès à la cour,

Elle devint le théâtre de la médisance et de la calomnie.

On ferma la bouche aux plus vieux évêques

Pour combler des impies de richesses et de dignités.

 

On ravit à la Sorbonne la liberté des suffrages

La voix impétueuse de je ne sais quel déclamateur inspira aux autres tant de terreur

Qu’ils en devinrent comme muets,

Ou s’ils ouvrirent la bouche

Ce ne fut que pour déguiser leurs sentiments et se soustraire à la tyrannie.

 

Quoi de plus déplorable,

Ce Prince devenu le ministre odieux d’une société détestable

Donne aux jésuites droit de vie et de mort sur les fidèles

Qu’il abandonne à la cruauté de ces bourreaux.

On ne se rappelle qu’avec horreur tous les maux qui s’ensuivirent.

Les pasteurs furent arrachés à leurs troupeaux

Les docteurs envoyés en exil,

Les solitaires dispersés çà et là,

Les prisons remplies de pieux personnages,

Les religieuses chassées de leurs cloîtres,

Les cadavres tirés des tombeaux

Tournant vers le Ciel leurs faces sanglantes

Semblaient s’écrier

 

Jusqu’à quand, Seigneur, différerez-vous votre vengeance ?

Dès lors les affaires de France parurent décliner ;

Les villes que nous avions prises avec tant d’éclat changèrent de maîtres ;

La victoire qui jusque là semblait avoir quitté ses ailes pour se fixer sous les étendards du Roi

 

Abandonna nos armées

Le Prince n’était pas plus riche que son peuple accablé d’impôts ;

Les intendants des provinces, ministres insatiables, vraies harpies, vraies sangsues,

Corrompirent tout et sucèrent la substance du peuple,

Faisant consister la sagesse à l’opprimer

Par le conseil et les ordres du prétendu Pharaon,

Tous les emplois civils et militaires mis à prix, jusqu’aux dignités ecclésiastiques.

 

Comme un autre Antiochus

Il n’épargna pas même les sacrés temples.

Les statues, les lampes, les flambeaux et divers ornements en furent enlevés.

 

Ce soleil trop ardent

Fondit et convertit à des usages profanes tous ces ouvrages d’or et d’argent,

 

Monuments de la libéralité des âmes pieuses.

Ce roi excessivement avare et prodigue,

Osa porta ses mains sacrilèges jusque sur les besoins de l’Église.

Il supprima plusieurs fondations faites pour les morts

Par l’extinction de leurs rentes annuelles.

Que dis-je ? la postérité le pourra-t-elle croire ?

Ayant suspendu pendant deux ans le paiement des rentes dues aux pauvres religieuses

Il contraignit ces saintes épouses de Jésus-Christ

De sortir de l’asile où elles s’étaient cachées

Pour aller, au grand scandale des honnêtes gens, mendier une retraite chez Leurs parents et leurs amis.

 

Son sceptre fut changé en fuseau.

Une jeune Canadoise, plus artificieuse que belle,

Transplantée à Paris, qui avait épousé un bouffon,

Devint femme du Roi sans être Reine

Et parvenue à la décrépitude,

 

Elle gouverna à la baguette ce vieillard imbécile.

Le Pontife romain

Dont les Français avaient si souvent abaissé l’orgueil

Leur rendit injure pour injure.

Il condamna les oracles de l’Écriture, les maximes des Saints Pères,

la doctrine des conciles.

Il excommunia un pieux cardinal

Tandis que la plupart des évêques, autrefois défenseurs de l’Église gallicane,

Humblement prosternés aux pieds de sa prétendue Sainteté

 

Baissent sa pantoufle avec révérence

Son fils meurt,

Plusieurs de ses enfants et petits-enfants, objets de nos espérances, ont le même sort.

Lui-même, après avoir procuré la paix à son royaume

Aux conditions qu’une femme lui a imposées,

Remet son sceptre entre les mains d’un petit-fils âgé de cinq ans

À l’instigation hardie d’un rusé directeur,

Il prive son neveu de la Régence qui lui était dévolue de droit

Et sans que ni pauvres, ni églises, ni domestiques aient part à ses largesses,

Sans écouter la voix du prophète qui exhorte à racheter ses péchés par les aumônes,

Il expire tranquillement entre les bras d’un jésuite

Le premier septembre 17115 âgé de 77 ans.

 

 

Dieu veuille qu’il repose en paix.


Numéro
£0463


Année
1715




Références

F.Fr.15150, p.146-47 - NAF.9184, p.466-72